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Le texte des réponses de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie n’est point encore connu. Il est une chose dont nous ne doutons pas, c’est qu’au point de vue de la courtoisie, de l’étiquette, du cérémonial, ces réponses doivent être plus finement et plus galamment tournées que les dépêches anglaises. Dans l’art des saluts, des complimens et des attitudes, la diplomatie continentale aura toujours l’avantage sur la gaucherie et la raideur britanniques. Mais il est une autre chose qui ne nous paraît pas moins certaine, c’est qu’après force exclamations admiratives, après une adhésion louangeuse à la grande et généreuse pensée de l’empereur, après des protestations pénétrées en l’honneur de la paix et en faveur du désarmement général, il doit y avoir dans toutes ces réponses quelque mais malencontreux qui introduit une réserve sur la nécessité d’un programme préalable et d’une définition quelconque de l’objet du congrès. A travers toutes les grâces de son urbanité, la diplomatie continentale, enchaînée par mille considérations de crainte et d’espérance, répugne au parler net, et dérobe timidement ses réserves sous des flots de paroles mielleuses. La rudesse anglaise a rendu service à la circonspection continentale. L’impassible Johnny s’est chargé de développer et de motiver la réserve que les grandes puissances du continent se sont prudemment contentées d’indiquer. Celles-ci garderont toute la bonne grâce de l’accueil cordial, respectueux ou empressé, qu’elles ont pu faire à l’invitation impériale, et, par le refus du cabinet anglais, elles auront le profit, à leur gré, d’être dispensées de passer outre. Il faut donc dire adieu au congrès; c’est fâcheux au point de vue du spectacle, qui n’eût pas manqué d’être intéressant pour la curiosité parisienne : sur les vingt souverains ou états étrangers auxquels des lettres d’invitation ont été adressées, le Mémorial diplomatique nous annonçait que neuf princes avaient promis formellement de se rendre à Paris en personne : le pape, la reine d’Espagne, le roi des Belges, le roi de Suède, le roi de Portugal, le roi d’Italie, le roi de Danemark, le sultan et le roi des Hellènes. C’était déjà imposant; cela promettait une splendide exhibition de cortèges, d’uniformes, de décorations et de voitures de gala. L’absence d’un vulgaire frac anglais fera-t-elle contremander ces magnificences? Le souverain pontife et le commandeur des croyans retrouveront-ils jamais une occasion aussi prestigieuse de faire le voyage de Paris?

Quant à nous, ce qui nous avait frappés, ce que nous avions surtout admiré dans l’initiative prise récemment par l’empereur, c’était la sincérité et le courage avec lesquels le chef de l’état avait dénoncé les périls de la situation européenne. Une pareille franchise, une semblable résolution sont rares chez les souverains; dans la circonstance présente, elles ne pouvaient aboutir à un vain bruit de paroles. Parler comme l’a fait l’empereur, c’est déjà agir; le discours impérial, par la sombre lueur qu’il jetait sur l’état de l’Europe, était un grand acte, et devait à nos yeux être le prélude d’une série d’actes non moins importans. Nous ne savons si nous nous sommes trompés; mais, habitués à prêter aux hommes politiques qui ont