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que Clouet a toujours passé pour avoir fait non-seulement des tableaux, mais des tableaux qui, quant aux dimensions, ressemblaient fort à celui-ci.

Une objection plus sérieuse va maintenant nous arrêter. Le caractère distinctif de la peinture de maître dans ces nobles écoles dont Clouet est un des héritiers, c’est l’extrême et constante égalité d’exécution. Les deux Van Eyck, Hemling, Holbein, et ce grand rejeton de la même famille, Léonard de Vinci, n’ont jamais négligé un détail. Dans les parties de leurs tableaux les plus sombres, les plus sacrifiées en apparence, vous découvrez la trace de leurs soins, de leur sollicitude. Le pinceau s’y est promené avec la même patience que dans les parties éclairées. A plus forte raison s’attachent-ils avec amour aux détails apparens, essentiels, tels que les mains par exemple. Clouet, dans le petit portrait que nous examinons, s’est bien gardé d’enfreindre cette loi de ses maîtres. Les mains de la jeune reine, naïvement copiées et, par la faute du modèle, un peu trop effilées peut-être, sont modelées en perfection; les ongles et toutes les délicatesses de la carnation sont exprimés à ravir. Or dans notre tableau il n’en est pas de même. La disparate est étrange entre les têtes et les mains. Autant tous les traits du visage, les cheveux, les coiffures, les bijoux sont admirablement rendus, autant les mains sont imparfaites. Le dessin en est disgracieux, incorrect, et la peinture mollement empâtée; ce sont tout au plus des ébauches. Nous pourrions signaler encore d’autres incorrections de dessin, certains bras un peu trop raides, un peu trop anguleux : maladresses plutôt naïves qu’ignorantes. Enfin à côté d’étoffes exquises et de la plus parfaite vérité il en est qui sont plates et indiquées à peine. N’oublions pas aussi l’enfant, le nouveau-né, ce petit être qui joue ici un rôle principal, sur qui les regards se dirigent, et que le peintre devrait avoir soigné; il n’est pas seulement d’une rare laideur, défaut qui peut trahir un excès de fidélité : il est disgracieux, incorrect, soit qu’une fente du panneau qui passe à travers son corps ait donné lieu à des restaurations, soit que le pinceau du maître l’ait tout d’abord ainsi conçu.

Que conclure de ces imperfections? Que par une cause ou par une autre, qui sait? par un orage de cour, par une maladie du peintre, l’œuvre est restée inachevée. C’est la seule explication plausible de ces défauts, de ces oublis. Toute hypothèse qui tendrait à les faire provenir soit d’incurie, de négligence volontaire, soit de faiblesse et d’impuissance de talent, serait à notre avis absolument inadmissible. Le talent peut avoir des aptitudes particulières, des goûts, des préférences, exceller sur un point et sur d’autres se contenter de moins, mais en restant toujours presque égal à