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cette ressemblance, qui frappera quiconque est initié le moins du monde à l’iconographie de notre XVIe siècle, il suffirait, pour établir l’identité de la personne, de l’étrange costume que le peintre lui a donné. Ce costume est celui que nos premiers parens portaient au paradis terrestre, le même dont est vêtue la Diane de Poitiers que vous voyez au Louvre sculptée par Jean Goujon. Il est vrai qu’une fourrure de martre doublée de velours bleu se trouve là fort à point et laisse le buste seul entièrement à découvert; mais c’est déjà quelque chose de passablement rare qu’une femme ainsi déshabillée au milieu d’autres femmes qui toutes ont des robes et mieux encore, des fichus et des guimpes. À ce seul trait ne reconnaît-on pas la sultane dans son harem? Personne autre à la cour, même en ce temps de mœurs plus que faciles, n’eût osé se faire sculpter ou peindre dans ce simple appareil : c’était un sans-façon dont la belle duchesse se réservait le privilège. Aussi voyez comme elle en use sans le moindre embarras! Vos regards ne la troublent point; elle ne se croit pas seule, comme Susanne au bain ou Bethsabée à sa toilette : c’est sciemment qu’elle étale toutes ses perfections; elle se pose en déesse descendue de l’Olympe, et daignant donner aux mortels le spectacle de sa beauté.

Ainsi pas le moindre doute sur le principal personnage : c’est bien Diane de Poitiers; mais que fait-elle dans cette compagnie? quelles sont ces femmes qui l’entourent? et surtout que veut dire cet enfant? Ni la manière dont on le lui présente, ni celle dont elle le reçoit ne s’expliquent, s’il s’agit de Moïse. Il y a d’un côté bien trop de déférence et trop de majesté de l’autre. On dirait une cérémonie bien plus qu’une œuvre de charité, et cet enfant doit être un petit personnage plutôt qu’un pauvre abandonné. Ne serait-ce pas un fils de France, le duc d’Alençon par exemple, le dernier né de Henri II ? Nous hasardons cette conjecture tout en la trouvant plus qu’étrange, puisqu’elle force à supposer que la maîtresse en titre se serait fait notifier officiellement, pour ainsi dire, la naissance de l’enfant royal. Mais pourquoi pas? Était-il un caprice qu’elle ne pût satisfaire? Son pouvoir avait-il des bornes? Et à supposer que la fantaisie l’ait prise de se faire rendre cet hommage, faudrait-il s’étonner qu’elle eût chargé un peintre habile d’en perpétuer le souvenir ?

Ce qui nous suggère cette idée, c’est la présence au milieu de ces femmes des deux jeunes garçons dont nous avons déjà parlé. Le plus âgé paraît avoir dix ou douze ans, l’autre environ quatre ou cinq. C’était à peu près l’âge du dauphin, depuis François II, et de son jeune frère Charles IX, lorsque le duc d’Alençon vint au monde. Le caractère des deux visages, l’aspect un peu maladif de