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cœur; sa nature sauvage et malfaisante se réveille par momens, et donne à 1?excellent Jean Baudry de fréquentes occasions de dépenser un peu de cette faculté de dévouement dont il est trop plein. Ces petits exercices répétés de sacrifice et de patience sont pour le bonhomme ce que sont les saignées mensuelles pour les tempéramens apoplectiques. Olivier aime éperdument la fille d’un négociant du Havre, dont il n’ose demander la main, et dont le père est l’ami intime de Jean Baudry. Jusque-là il est dans son droit : il aime, il est aimé, et s’il pouvait se contenir un peu plus, il n’y aurait rien à reprendre dans sa conduite ; mais une des particularités les plus curieuses de ce drame, c’est que les personnages semblent avoir une peine infinie à mettre leur conduite d’accord avec le bon sens. A chaque instant, on a envie de leur dire : « Arrêtez-vous! vous outre-passez votre droit, vous exagérez votre devoir. Des conditions nouvelles vous créent de nouvelles obligations, et votre conduite, légitime hier, ne l’est plus aujourd’hui. » Olivier, qui tout à l’heure n’était que turbulent, s’avise de devenir odieux. Pendant qu’il se désespérait, la ruine a surpris le père de la jeune fille qu’il aime. C’est Jean Baudry, l’universel bienfaiteur, qui répare cette ruine, et, pour ne pas humilier son obligé, il lui demande la main de sa fille. Mlle Andrée, le seul personnage sensé de la pièce, le seul dont la conduite soit d’accord avec les vrais principes moraux, marche sans hésiter au-devant de son devoir et accepte la proposition de l’honnête Jean Baudry. Elle fait taire son cœur et se dévoue à l’homme qui a sauvé l’honneur de son père. Il semble qu’Olivier n’aurait qu’à faire ce que fait Mlle Andrée, c’est-à-dire se taire et se résigner; mais non : il s’emporte et se révolte sans songer un seul instant que lui, qui hier avait tous les droits que donne la nature, n’en a plus aucun du moment où Mlle Andrée lui a fait part de sa décision nouvelle, des motifs de cette décision et du nom de celui qu’elle épouse. Alors suit une série de scènes péniblement odieuses entre Olivier et son protecteur, où les deux personnages engagent une lutte de sentimens bizarres qui finit, comme toujours, par la défaite de ce brave Jean Baudry. Ce martyr du dévouement utopique et du devoir chimérique renonce à la main de Mlle Andrée et part avec Olivier en annonçant qu’il le ramènera. Voilà tout le drame. Je me demande ce que M. A. Vacquerie a voulu prouver? S’il a voulu proposer Jean Baudry à l’imitation des spectateurs, je crains fort qu’il n’ait manqué son but : la gloire de son héros ne convertira et ne tentera personne ; mais si par hasard il a voulu démontrer cette proposition de morale pessimiste à la Candide, que nous devons toujours nous attendre à expier nos vertus, et que le bien que nous faisons entraîne inévitablement son châtiment, il a réussi. Il est très facile de reconnaître à quelle influence Jean Baudry