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beaucoup dans le ménage Montjoye, et que ce ne sera pas la dernière. Or il fallait précisément qu’on sentît que c’était la dernière ; mais la crainte du public impatient des longueurs assiégeait la pensée de M. Feuillet. Il a donc coupé court brusquement aux plaintes d’Henriette et à la philosophie cynique de Montjoye. Allongée de trente lignes comme M. Feuillet sait les écrire, cette scène devenait admirable.

Toutes ces critiques néanmoins disparaissent devant la vigueur avec laquelle M. Feuillet a dessiné son personnage principal et devant l’habileté avec laquelle il a su le présenter et le faire accepter du public. C’était une tâche difficile, car, nous le répétons, ce caractère est sans précédens aucuns, et il est dans son immoralité d’une telle anomalie, d’une telle excentricité monstrueuse, que si l’on eût passé en revue les noms des auteurs capables de le mettre en scène, celui de M. Octave Feuillet est le dernier auquel on aurait songé. Cette entreprise semblait convenir surtout au talent de M. Dumas ou de M. Augier, et certes personne ne se serait étonné de les y voir échouer, tant elle est ardue; c’est M. Feuillet qui s’y lance, et pour comble de bonheur il y réussit. C’est donc un succès qui peut compter double pour lui, et qui mérite un double applaudissement.

In medio stat virtus, disait le sage de l’antiquité. Cette maxime n’est point, paraît-il, du goût de nos auteurs dramatiques et dans le courant de notre époque. Les personnages qu’ils nous présentent sont placés à une telle distance du milieu de la nature humaine, qu’ils nous donnent une sensation étrange d’éloignement. Il semble qu’il faudrait voyager un temps infini pour les rejoindre. Certes Jean Baudry, le héros du nouveau drame de M. Vacquerie, est bien différent de Montjoye; ils ont cependant cette ressemblance commune, c’est qu’ils sont placés aux extrémités de la nature humaine. Seulement Montjoye, si odieux qu’il paraisse, est vrai, tandis que Jean Baudry, malgré les vertus qu’on lui prête, est parfaitement chimérique. Un jour, Jean Baudry surprend un gamin des rues qui fouillait indiscrètement dans ses poches. Vous ne l’eussiez point ramassé; mais Jean Baudry le fit. Tout philanthrope a sa pensée, et celle qui traversa en ce moment l’esprit du héros de M. Vacquerie fut passablement étrange : il lui vint l’idée de se dévouer corps et âme à cet enfant. Les plus subits miracles de la grâce ne sont pas plus foudroyans que cet accès d’humanité. Acceptons toutefois ce point de départ : Jean Baudry a fait une action généreuse à laquelle il faut applaudir, car il n’y aura jamais trop de générosité en ce monde. Olivier a grandi, et, grâce aux soins de son protecteur, il est devenu un jeune médecin savant, et, comme d’habitude, plein d’avenir. Cependant l’éducation, en dépouillant l’enfant de son écorce grossière, n’a pas été assez puissante pour transformer son