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Ainsi les autres personnages de la pièce étouffent pour ainsi dire à l’ombre de Montjoye, qui absorbe à lui seul toute l’attention du spectateur. Leurs caractères, très suffisamment indiqués, ne sont pas cependant dessinés avec autant de netteté que le personnage principal. Ils ont bien leur physionomie à eux, mais il faut y regarder à deux fois ayant de la découvrir. En général, il nous a semblé que M. Feuillet, en écrivant son drame, avait trop songé qu’il écrivait pour le théâtre. Il s’est dit très justement que le drame consistait avant tout dans l’action; mais cette préoccupation légitime l’a peut-être entraîné trop loin. Il s’est ainsi volontairement privé d’une partie de ses ressources; il a contraint au silence toutes ces facultés si subtiles, si éloquentes, si pénétrantes, que nous lui connaissons. Pas une note de rêverie, de poésie et de caprice; le drame marche au pas redoublé, brûlant avec une vigueur et une décision remarquables les diverses étapes de l’action sans se ralentir un instant et sans prêter un regard aux fleurs qu’il était si facile de cueillir tout le long de la route. Le style ordinairement imagé de M. Feuillet est devenu dans cette pièce d’une sobriété qui frise parfois la sécheresse, et on compterait très aisément les métaphores dont elle est émaillée. Celui qui lirait ce nouveau drame sans être averti du nom de l’auteur aurait certainement quelque difficulté à y reconnaître le gracieux écrivain des Scènes et proverbes, le poétique romancier de la Petite comtesse et de Sibylle. Enfin nous ne pouvons nous empêcher de croire que, si l’auteur eût écrit son drame sans une trop grande préoccupation des exigences de la scène, il eût donné à certaines situations tout le développement qu’elles comportaient, nous n’en indiquerons qu’une seule, la scène du second acte où Henriette, la femme de Montjoye, au milieu du tumulte de la fête que donne son mari pour préparer son élection, le presse de compléter cette journée heureuse pour tous en lui donnant ce nom d’épouse qu’il lui refuse et qu’elle a mérité pourtant par un si long martyre. C’est une de ces situations pathétiques où vibrent les cordes les plus morales du cœur humain, et que le talent de M. Feuillet affectionne particulièrement. Eh bien! la scène est moins émouvante qu’on n’aurait pu l’attendre. Certes les plaintes d’Henriette sont touchantes, mais comme elles auraient été plus éloquentes, si M. Feuillet n’eût pas imposé une contrainte à son talent, et s’il eût écrit libre de toute obsession. Dans cette scène cependant, Henriette devait épuiser toutes les ressources des larmes et de la supplication, car c’est pour la dernière fois qu’elle fait appel à la pitié et à la justice de son mari, et lorsqu’elle reparaîtra devant lui, ce ne sera plus pour le supplier, mais pour lui faire une sommation impérieuse et pressante. Telle qu’elle est, cette scène ne laisse pas prévoir la prochaine résolution d’Henriette; on se dit que c’est une scène comme il a dû y en avoir