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de fortifications dont on ne connaissait pas la puissance. Placée à vingt-huit lieues de Mexico, servant en quelque sorte de tête aux deux routes qui viennent de la Vera-Cruz, l’une par Jalapa, l’autre par Orizaba, et qui se rejoignent en avant de la ville, Puebla a été tour à tour prise et reprise par tous les partis. C’est probablement la ville du monde qui a été le plus souvent assiégée : elle en est, dit-on, au cent cinquantième siège. En se présentant devant Puebla, le général de Lorencez était encore évidemment dans cette illusion confiante dont je parlais : il pensait qu’il n’y avait qu’à tenter quelque démonstration vigoureuse pour emporter cette première citadelle de la défense mexicaine et pour provoquer un mouvement de la population tout entière.

Ici commençait le réveil. Le 5 mai au matin, des colonnes composées de zouaves et de chasseurs étaient lancées à l’assaut des hauteurs et du fort de Guadalupe, qui commandent la ville. Au lieu d’avoir à enlever une position de peu d’importance, comme on l’avait dit au général de Lorencez, nos soldats allaient se heurter contre un couvent massif transformé en forteresse, défendu par une garnison de deux mille hommes, protégé par une artillerie énergiquement servie, par tout un système de feux combinés. Quelques-uns des plus intrépides assaillans arrivèrent, sous un feu terrible, jusque dans les fossés du fort, se hissèrent jusque sur les murs, et y périrent; le reste échouait au pied de ce formidable rempart. Un orage torrentiel, obscurcissant l’air, vint interrompre cette lutte, qui était désormais sans issue, puisqu’on n’avait point une artillerie suffisante pour attaquer le fort de Guadalupe, et que l’héroïsme lui-même était impuissant contre cette masse hérissée de feux. Le général de Lorencez venait de faire une expérience pénible pour son âme militaire, pénible aussi pour ce drapeau qui allait chercher au fond du Mexique une disgrâce inattendue. Il avait appris deux choses : c’est que décidément il y avait une armée mexicaine, que la guerre avait partout ses nécessités, et qu’on avait été trompé, que cette insurrection nationale qu’on montrait sans cesse à l’horizon n’était qu’un mirage. Il laissait déborder l’amertume de son cœur de soldat lorsque, quelques jours plus tard, rentré à Orizaba, il disait à sa petite armée : « Soldats, votre marche sur Mexico a été arrêtée par des obstacles matériels auxquels vous deviez être loin de vous attendre d’après les renseignemens qui vous avaient été donnés. On vous avait cent fois répété que la ville de Puebla vous appelait de tous ses vœux, et que la population se presserait sur vos pas pour vous couvrir de fleurs. C’est avec la confiance inspirée par ces assurances trompeuses que nous nous sommes présentés devant Puebla. Cette ville était hérissée de barricades et dominée par une