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franchissait en trois mois, et que nous avons mis un an et demi à parcourir, ayant à compter avec des difficultés d’un autre genre et toutes les considérations politiques d’un temps nouveau, portant avec nous la responsabilité d’une entreprise poursuivie isolément après avoir été commencée par l’action collective de trois puissances de l’Europe. Voilà déjà deux ans en effet, sans qu’on y songe parfois, que nous sommes engagés dans cette affaire du Mexique, où nous ont laissés un jour l’Angleterre et l’Espagne, qui n’est point évidemment sans réagir sur l’ensemble de notre politique soit en Europe, soit au-delà de l’Atlantique, et qui se prolonge avec une énigmatique lenteur à travers l’imprévu, au milieu de méfiances craintives de l’opinion et d’illusions dont l’écho retentit dans les polémiques, dans les brochures, jusque dans les livres qui sont, comme celui de M. Michel Chevalier, le code, le dernier mot de l’intervention au Mexique. Je ne veux dire qu’une chose pour le moment, c’est que les livres où dominent les illusions, la politique à la Fernand Cortez, sont assurément les plus rares, et que la première question qui s’offre à tous les esprits est de savoir comment on peut sortir d’une entreprise qui a déjà dépassé toutes les prévisions, où les embarras sont certains, où les avantages sont au moins lointains et peut-être problématiques.

Un des caractères les plus frappans, en effet, de cette singulière expédition qui touche aux intérêts mexicains comme aux intérêts de la France et de l’Europe elle-même dans leurs rapports avec tout le Nouveau-Monde, c’est cet imprévu et cette incertitude qui éclatent à chaque pas, à mesure qu’on avance, et si on veut savoir la raison la plus sérieuse de l’incontestable impopularité dont jouit la guerre du Mexique, il faut avant tout la chercher dans ce fait, que l’opinion n’a jamais pu saisir distinctement la nature, la portée et les limites d’une entreprise qu’elle voyait se dérouler au loin dans une certaine confusion de direction et d’incidens. Ce qui a manqué à la guerre du Mexique, ce n’est assurément ni l’héroïsme dans le combat quand il a fallu ramener en avant un drapeau peu accoutumé à reculer, ni la mâle vigueur de nos soldats au milieu des plus cruelles épreuves de la maladie ou d’une inaction prolongée, ni même, je le crois, la garantie d’intentions protectrices et désintéressées de la part du gouvernement français; ce qui lui a manqué dès l’origine, c’est la précision et la netteté dans la pensée comme dans l’action, et cette sorte d’obscurité, où toutes les complications ont grandi, n’a cessé de peser sur elle. Qu’est-il arrivé? L’entreprise commencée à trois, réglée par un traité du 31 octobre 1861 entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, a fini par l’intervention unique et exclusive de la France. L’œuvre, conçue d’abord comme une puissante