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ménagés. A côté des menaces, les promesses ont joué leur rôle. La libéralité a souvent tenu la place de la rigueur. Il est vrai qu’elle paraît être rigoureusement interdite et traitée avec défaveur quand elle s’exerce aux frais du candidat. On a entendu, parmi les commissaires du gouvernement, de sévères professeurs de morale pour autrui qui ont poussé le zèle de l’austérité jusqu’à faire la leçon à un candidat (il est vrai que c’était un candidat de l’opposition) pour avoir distribué un jour quelques aumônes à des femmes et à des enfans d’électeurs. En dehors de toute préoccupation politique, le corps législatif a même poussé si loin ses scrupules de délicatesse, qu’il a annulé une élection dans laquelle un candidat, n’ayant en face de lui qu’un concurrent qui s’en était tenu à des intentions de candidature, avait cru pouvoir dès lors se montrer généreux d’une façon désintéressée et faire un libre usage de sa grande fortune. Toutefois, comme l’a relevé avec à-propos un député qui depuis l’ouverture de la session a eu le mérite de ne pas quitter la brèche, M. Glais-Bizoin, il y a eu une autre théorie développée dans le corps législatif avec plus de succès, à savoir que le gouvernement pendant la durée de la période électorale ne doit pas rester impassible devant les demandes pressantes des communes. C’est cette théorie qui, passée en pratique, a donné aux préfets le privilège de distribuer l’argent des contribuables et a réduit les populations à prendre le rôle de solliciteuses ou d’obligées. Les préfets sont disposés assurément à ne faire de ce pouvoir que le meilleur usage, et il y en a peu qui, en faisant la distribution même la plus large des secours « dont ils disposent, se compromettent jusqu’à dire aux électeurs que, s’ils ne votent pas pour leur candidat, rien ne leur sera accordé, de telle sorte que le département et ses habitans seraient délaissés et abandonnés. Il y a des administrateurs qui ont déclaré que le gouvernement, tenu de rendre justice à tout le monde, ne devait ses faveurs qu’à ses amis. Nous sommes, quanta nous, persuadé (et c’est par l’expérience) qu’il ne tient pas cette conduite; mais il faut bien que l’emploi des promesses et des libéralités de tout genre distribuées avec un heureux à-propos et parfois passant par les mains du candidat du gouvernement exerce un prestige irrésistible sur les populations pour que, dans certains départemens où l’élection pouvait paraître douteuse, il en ait été fait un si prodigieux usage. C’est avec un singulier empressement que les maires ont révélé les bienfaits ainsi obtenus, qui étaient même quelquefois annoncés au moyen de dépêches télégraphiques. Les proclamations le plus souvent naïves dans lesquelles ils les ont énumérés ou fait espérer, en rappelant aux électeurs les devoirs de reconnaissance ou d’intérêt qu’ils avaient à remplir, donnent un curieux témoignage de la littérature municipale en France.