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de profiter de la souveraineté populaire pour reconnaître leurs forces, il enlève à la lutte électorale toute apparence factieuse, et il empêche de donner le change sur les sentimens et les opinions de ceux qui s’y engagent. Quelles que soient les sympathies que l’on conserve pour une de ces familles qui ont régné avec honneur et honnêteté sur la France, quelle que soit l’inclination qu’on puisse ressentir pour les institutions républicaines, du moment où l’on a prêté le serment au gouvernement établi, on ne peut pas plus se dire son ennemi que se laisser traiter comme tel. Le sénatus-consulte de 1858 a demandé un gage : le gage une fois donné, le candidat doit donc y gagner plutôt qu’y perdre.

« Contemplez cet édifice, disait Bossuet avec la majesté habituelle de son langage en expliquant les contradictions étranges de la nature humaine, vous y verrez les marques d’une main divine; mais l’inégalité de l’ouvrage vous fera bientôt remarquer ce que le péché y a mêlé du sien. O Dieu, quel est ce mélange! J’ai peine à me reconnaître... » Ce serait, il est vrai, faire un excès d’honneur à la législation électorale de la France que de lui chercher une si haute origine, et si elle paraît destinée à laisser parler la voix du peuple, nous n’avons pas, quant à nous, l’humeur assez enjouée pour proclamer la voix du peuple « la voix de Dieu; » mais quand on a une fois reconnu quels peuvent être ses mérites, il est permis, sans prétendre signaler le moins du monde son indignité, de l’examiner sous une autre face. Après avoir reconnu et énuméré les garanties qui appartiennent aux électeurs et aux candidats, on a sans doute le droit de considérer quelles sont celles qui leur manquent, et qui tiennent les autres comme en échec.

La nécessité de s’entendre paraît être pour les électeurs la première condition à laquelle ils doivent tenir, et cependant elle leur fait défaut. La circonscription électorale, que le gouvernement peut tracer et remanier à son gré tous les cinq ans, les empêche de se mettre et de rester en rapports; elle les laisse étrangers les uns aux autres, et, loin de les rapprocher par des intérêts communs, souvent même elle les divise par des intérêts opposés qui ne leur permettent pas de se mettre d’accord sur le choix de celui qui doit les représenter. Déjà en France l’arrondissement, dont la création ne remonte pas à plus d’un demi-siècle, et qui n’a guère servi que pendant trente ans au choix des députés, n’avait acclimaté que difficilement les traditions politiques nécessaires à l’union des citoyens. La France, découpée en départemens par l’assemblée constituante de 1789 et privée de ses anciennes provinces, n’avait pas eu l’avantage dont l’Angleterre a si bien tiré parti, et qui donne à chaque collège électoral de la Grande-Bretagne un passé riche de souvenirs aussi bien que fécond en espérances, propre à entretenir