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forme des contrats. Même sans la moindre préméditation, même à son insu, dès qu’on aperçoit au-devant de soi une aussi commode ressource, on doit moins tenir à l’exactitude des premiers comptes. La conséquence manifeste de tels procédés, c’est que les chiffres n’auraient plus aucune signification précise, et que le corps législatif ne pourrait plus savoir, dans l’exercice de la prérogative qui lui reste en ces matières, pour quelle somme il engage réellement l’avenir. On se priverait en outre d’une partie des avantages que fournit pour la construction le concours de l’industrie privée, de ces avantages si victorieusement mis en relief par les grandes discussions d’il y a vingt ou vingt-cinq ans, et que des faits plus rapprochés de nous ont consacrés avec tant d’éclat. Si l’on veut qu’elle tienne les promesses de son programme, il faut que l’industrie agisse pour son compte, à ses risques et périls, et non pas à un titre de simple mandataire, qui, en diminuant sa responsabilité, ne pourrait qu’amoindrir son énergie. Pour un cas peut-être où des inconvéniens eussent découlé du ferme maintien des conditions stipulées, on en eût recueilli dans cent autres les plus précieux avantages. Ajoutons que, sans parler de l’Angleterre ni des États-Unis d’Amérique, où des traditions invariables protestent trop haut contre une telle pratique, on n’a vu dans aucun pays les contrats en butte à des vicissitudes comme celles qu’ils ont traversées chez nous de 1857 à 1863.

L’argument tiré des circonstances imprévues conduit à peu près aux mêmes écueils. Les circonstances imprévues ! mais on les invoquait aussi en 1857. C’était alors à la crise financière que l’on s’en prenait, crise engendrée et compliquée par une suite de mauvaises récoltes. Cette fois que fait-on ? On accuse la guerre civile de la confédération américaine, la détresse cotonnière, le ralentissement qui en a été la conséquence dans plusieurs branches de la fabrication nationale. Y a-t-on bien songé cependant ? Ni les gouvernemens, ni les associations, ni les individus ne pourraient souscrire aucun engagement, s’ils avaient la prétention de se dégager à l’avance des incertitudes du lendemain. On agit sagement lorsqu’à la veille de passer un contrat on fait entrer en ligne de compte les éventualités de ce genre ; la signature donnée, il n’y a plus à la reprendre. Qu’il se rencontre des circonstances, heureusement fort rares, qui bouleversent toutes les conditions de la vie normale d’une société, et où s’imposent des dérogations aux lois les plus constantes, nous ne prétendons pas le nier ; mais, on en conviendra, les remaniemens périodiques dont les chemins de fer ont été l’objet depuis six années n’ont, grâce à Dieu, rien qu’on puisse justifier par d’aussi critiques conjonctures.

Quant à cette autre considération à laquelle nous faisions allusion