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sont du moins en mesure d’apprécier parfaitement une question de ce genre, se prononcèrent à ce sujet en un sens favorable au Midi[1]. Ces argumens, qu’on peut appeler des argumens de circonstance, une fois écartés, il reste plusieurs points très sérieux où la critique, en se précisant davantage, fournit à l’histoire économique de notre temps des renseignemens utiles à conserver. C’était d’abord le chiffre des recettes possibles pour le chemin du littoral ; c’était ensuite la pensée de détourner au profit de ce chemin une partie plus ou moins forte du transit de l’Océan à la Méditerranée ; enfin, c’était l’intérêt que pourrait offrir l’unité de service par rapport au fractionnement actuel entre deux compagnies.

Sur le premier point, le Midi, qui ne pouvait guère contester les assertions de ses adversaires, répondait que les recettes indiquées correspondaient à l’état présent du trafic, mais qu’elles seraient considérablement accrues par suite des changemens projetés. C’était répondre par la question même. Il est vrai que l’idée du détournement du transit commercial venait tout de suite donner un corps à ces vagues assurances ; mais ici précisément les objections étaient permises. Il fallait expliquer comment on déposséderait de sa clientèle le détroit de Gibraltar, dont le nom revient à tout moment dans les écrits publiés à ce sujet. Le détroit de Gibraltar ! c’était donc là qu’il fallait viser ! Dès que les matériaux actuels ne pouvaient suffire à l’alimentation de la ligne du littoral, il devenait absolument nécessaire de ravir au fameux détroit une partie de sa fortune, de faire refluer vers nos rivages méridionaux une partie du mouvement qui s’opère entre les côtes d’Espagne et celles du Maroc. Combien la proie n’était-elle pas attrayante ! Ce grand courant emporte par année 4 millions 1/2 de tonnes. En réalité, la conquête de Marseille n’était qu’un vain mot, si l’on ne conquérait pas le détroit. Sans cela, point de partie gagnée. Il fallait donc franchir les célèbres colonnes qui avaient arrêté le héros de la fable, ou plutôt il fallait pouvoir, par une combinaison de tarifs, rétablir cette chaîne de montagnes qu’un jeu de sa force avait rompue. Dans les premiers programmes du Midi, nulle idée ne fascinait plus les regards que l’idée d’amener sur notre sol une dérivation quelconque de cet énorme transit. N’en doutons pas : si cette prétention avait pu seulement s’appuyer sur des calculs un peu plausibles, aucun argument, aucune objection n’aurait tenu contre l’adhésion publique, et le chemin du littoral serait aujourd’hui en construction. La compagnie de Lyon ne pouvait s’y méprendre. Aussi quel déploiement de

  1. Lettre des représentans des compagnies de la navigation du Rhône, 16 septembre 1862.