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on ne manquait pas de l’appuyer sur une pensée traditionnelle et tout à fait populaire dans les régions pyrénéennes comprises entre l’Océan et la Méditerranée, — la pensée de l’union des deux mers. C’était pourtant confondre des situations bien dissemblables que d’assimiler le projet nouveau à la plus grande conception du XVIIe siècle en matière de travaux publics. Comment ne pas voir que les perspectives sont entièrement changées depuis l’édit qui consacrait l’exécution du fameux canal (1666)? Elles ne sont même plus ce qu’elles étaient il y a une quarantaine d’années. Sans que son importance ait décru pour nos régions du sud-ouest, l’idée de l’union des deux mers a vu singulièrement diminuer son rôle par rapport à la circulation générale du commerce. En même temps qu’ils venaient en faciliter l’accomplissement, les chemins de fer enlevaient à l’œuvre une partie de sa grandeur passée. Dirai-je qu’ils la découronnaient ? L’union des deux mers, on la voit se produire aujourd’hui sous toutes les formes. On nous la montre presque déjà réalisée de l’autre côté des Pyrénées, grâce aux lignes qui vont réunir les ports de la Catalogne à ceux de la Biscaye[1]. En France, elle paraît pleinement opérée, et dans des directions multiples. Soit que l’on considère la Mer du Nord, soit que l’on observe nos ports de la Manche ou de l’Atlantique, on en voit partir un ruban ferré qui se déroule jusqu’aux tièdes rivages méditerranéens[2]. Qu’il reste place à une comparaison entre le prix des transports par ces voies différentes, c’est évident ; il ne l’est pas moins que le faisceau du trafic, que le courant de la circulation, au lieu de se concentrer sur un seul point, doit inévitablement se diviser. Sur toutes les données antérieures n’avaient été profondément modifiées par les chemins de fer, en même temps que le développement de la navigation à vapeur et les progrès de la navigation à voile transformaient les conditions des transports maritimes, la jonction opérée entre Bordeaux et Cette aurait suffi à toutes les ambitions comme à tous les intérêts. L’union tant célébrée se réalisait avec toutes ses anciennes promesses, et la cité maritime de l’Hérault aurait pris promptement cet essor magnifique qu’on avait imaginé pour elle, et qu’il a fallu renoncer à atteindre.

Il n’est plus indifférent aujourd’hui, au milieu des transformations qui remplissent l’histoire des voies de transport depuis un demi-siècle, il n’est plus indifférent, pour que l’union des deux mers à travers le Languedoc procure tous les résultats qu’on en peut raisonnablement espérer, que la ligne partie de Bordeaux s’en aille

  1. Rapport de la compagnie de Lerida-Reuss-Tarragone, 29 mai 1863.
  2. D’un autre côté, le simple embranchement de Nancy à Gray, récemment inauguré, ouvre désormais une route directe du Zuyderzée au golfe de Lion.