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Après l’exécution du finale dans l’admirable andante en si majeur entonné par Max, répété ensuite comme une prière par tous les personnages de cette simple histoire de village, s’élève un hymne d’amour, de foi et de soumission à la Providence :

Moment si doux, bonté nouvelle !
À tous, Seigneur, je dois l’espoir.

— Qu’il soit trois fois béni, s’écria le chevalier, le pieux et grand artiste qui a tiré de son âme de tels accens, et qui a donné à sa patrie le premier opéra national qu’elle possède !

— Comment l’entendez-vous, monsieur le chevalier ? répondit le vieux Rauch avec étonnement. L’Enlèvement du Sérail, la Flûte enchantée de Mozart, Fidelio de Beethoven, le Sacrifice interrompu de Winter, et tant d’autres ouvrages que je pourrais citer, n’ont-ils pas été composés par des musiciens allemands et dans la langue du pays ?

— Oui vraiment, répliqua le chevalier. Bien avant Mozart, un homme de génie qui se nommait Keyser et plusieurs de ses contemporains, parmi lesquels je citerai Haendel, ont essayé de donner à l’Allemagne un spectacle lyrique conforme à celui qui avait été créé en Italie et qui faisait les délices de toutes les cours princières. Ils ont écrit des centaines d’opéras en langue allemande, ce qui n’empêche pas que le Freyschütz ne soit le premier drame dont la musique profonde et touchante traduise avec une grandeur et une sincérité propres à l’Allemagne les sentimens, le merveilleux et la poésie intime de la création. Comme le Faust de Goethe, le Freyschütz est une légende populaire dont Weber s’est heureusement inspiré et où il a su rendre d’une manière savante les naïves terreurs et ce pittoresque infini de la nature qui caractérisent la vieille race teutonique.

— Je ne vous tiens pas quitte de l’explication que vous m’avez promise, dit M. Thibaut toujours en badinant, et je veux absolument que vous m’appreniez d’où vient aux Allemands et aux peuples du nord ce sentiment profond des beautés de la nature que vous refusez aux nations méridionales.

— Ah ! docteur, répondit le chevalier en fermant la porte de la loge, cela vient de bien loin, peut-être des sources de l’Indus ou des sommets escarpés de l’Himalaya !

— Ces diables de philosophes ont d’étranges idées, dit M. Thibaut en offrant son bras à Mme de Narbal.


PAUL SCUDO.