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de Loewenfeld, et de Mme Du Hautchet, qui s’était empanachée comme une gouvernante de bonne maison qui tient à faire honneur à ses maîtres.

— Est-il permis de tout voir et de tout examiner ? dit la comtesse en entrant dans le petit salon, où le chevalier comptait avec anxiété les chaises et les fauteuils qu’il pouvait offrir à ses nombreux visiteurs.

— Oui, tout est à votre discrétion, car le moyen de faire autrement ! répondit le chevalier en prenant la main de la comtesse ; questo è il mio lutto, voilà tout mon empire, régnez-y en souveraine, ma chère comtesse, mais ne me demandez pas une chaise de plus, ajouta-t-il en riant.

— Ha ! ha ! s’écria Mme de Narbal après avoir promené ses regards sur les différens objets qui garnissaient le salon, mes pressentimens ne m’ont pas trompée ! c’est bien ici la retraite studieuse d’un esprit supérieur, d’un homme de cœur qui a beaucoup vécu, beaucoup appris, et peut-être beaucoup aimé, dit-elle un peu plus bas avec un sourire de bonté malicieuse.

— Voilà bien une question de femme, répondit M. Thibaut, qui avait entendu les dernières paroles de la comtesse.

— Eh ! sans doute. De quoi voulez-vous donc que nous nous occupions, si ce n’est d’un sentiment qui nous touche de si près et qui fait le fond de l’existence ?

— De l’existence des femmes, c’est possible, répliqua M. Thibaut ; mais nous autres hommes nous avons bien d’autres chats à fouetter, comme dit le proverbe. N’est-ce pas, chevalier ?

— Pour un savant docteur en droit romain, répondit le chevalier, pour un dilettante distingué qui connaît aussi bien l’histoire de l’art que celle des empires, vous établissez une singulière distinction. Pourriez-vous me dire dans quelle œuvre, dans quelle action de l’homme l’influence de la femme ne se fait pas sentir ? Or qu’est-ce donc que l’influence de la femme, si ce n’est l’influence du sentiment presque unique qui la domine, et dont elle est la plus haute expression dans ce monde ?

— Vous êtes un preux et galant chevalier, répondit M. Thibaut avec un peu d’ironie, vous prenez généreusement la défense de la beauté persécutée. Aussi je ne veux pas vous compromettre devant les beaux yeux qui nous regardent en vous priant de m’expliquer comment le sentiment qui préoccupe si fort Mme de Narbal peut se trouver mêlé à tout, même à la science des Kepler et des Newton.

Le conseiller de Loewenfeld, qui avait écouté ce petit dialogue avec un très grand sérieux, laissa apercevoir sur ses lèvres minces et serrées un sourire dédaigneux qui s’adressait au chevalier, dont