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d’Amérique. M. Darwin conjecture que le coucou d’Europe a pu avoir autrefois les mêmes mœurs que le coucou américain. « Supposons, dit-il, qu’il lui soit arrivé, quoique rarement, de pondre ses œufs dans le nid d’autres oiseaux. Si la couveuse ou ses petits ont tiré quelque avantage de cette circonstance, si le jeune oisillon est devenu plus vigoureux en profitant des méprises de l’instinct chez une mère adoptive, on conçoit qu’un fait accidentel soit devenu une habitude avantageuse à l’espèce, car toute analogie nous sollicite à croire que les jeunes oiseaux ainsi couvés auront hérité plus ou moins de la déviation d’instinct qui a porté leur mère à les abandonner. Ils seront devenus de plus en plus enclins à déposer leurs œufs dans le nid d’autres oiseaux. » Voilà bien ici une action accidentelle et fortuite considérée comme transmissible héréditairement. Je demanderai aux zoologistes s’ils accordent que le pouvoir de l’hérédité puisse aller jusque-là.

Il faudrait recueillir et discuter un grand nombre de faits pour apprécier à sa vraie mesure la théorie des habitudes héréditaires. Je n’en citerai qu’un, qui me paraît absolument réfractaire à toute théorie de ce genre : c’est l’instinct des nécrophores. Ces animaux ont l’habitude, quand ils ont pondu leurs œufs, d’aller chercher des cadavres d’animaux pour les placer à côté de ces œufs, afin que leurs petits, aussitôt éclos, trouvent immédiatement leur nourriture ; quelques-uns même pondent leurs œufs dans ces cadavres eux-mêmes. Or ce qu’il y a ici d’incompréhensible, c’est que les mères qui ont cet instinct ne verront jamais leurs petits et n’ont pas vu elles-mêmes leurs mères ; elles ne peuvent donc savoir que ces œufs deviendront des animaux semblables à elles-mêmes, ni prévoir par conséquent leurs besoins. Chez d’autres insectes, les pompiles, l’instinct est plus remarquable encore : dans cette espèce, les mères ont un genre de vie profondément différent de leurs petits, car elles-mêmes sont herbivores, et leurs larves sont carnivores. Elles ne peuvent donc point, par leur propre exemple, présumer ce qui conviendra à leurs enfans. Recourra-t-on ici à l’habitude héréditaire ? Mais il a fallu que cet instinct fût parfait dès l’origine, et il n’est pas susceptible de degrés ; une espèce qui n’aurait pas eu cet instinct précisément tel qu’il est n’aurait pas subsisté, puisque, les petits étant carnivores, il leur faut absolument une nourriture animale toute prête quand ils viendront au monde. Si l’on disait que les larves ont été originairement herbivores, et que c’est par hasard et sans but que la mère, attirée peut-être par un goût particulier, est allée pondre ses œufs dans des cadavres, que les petits, naissant dans ce milieu, s’y sont peu à peu habitués et d’herbivores sont devenus carnivores, puis que la mère elle-même s’est déshabituée de pondre