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tés. D’abord les variations d’instinct qu’on pourrait observer dans certaines circonstances particulières ne prouveraient pas nécessairement contre l’hypothèse d’un instinct primitif propre à chaque espèce, car, même dans cette hypothèse, la nature ayant attaché à l’animal un instinct pour le préserver, a pu vouloir, toujours prévoyante, que cet instinct ne fût pas précisément à court dès que le moindre changement aurait lieu dans les circonstances extérieures. Un certain degré de flexibilité dans l’instinct se concilie très bien avec la doctrine d’un instinct irréductible. Par exemple, la nature, ayant donné à l’oiseau l’instinct de construire son nid avec certains matériaux, n’a pas dû vouloir que, si ces matériaux venaient à manquer, l’oiseau ne fît pas de nid. Comme nos habitudes, si mécaniques qu’elles soient, se modifient cependant automatiquement pour peu que telle circonstance externe vienne les contrarier, il pourrait en être ainsi des instincts ou habitudes naturelles imprimées dès l’origine dans l’organisation même de chaque espèce par l’auteur prévoyant de toutes choses.

J’élèverai d’ailleurs une grave objection contre l’application du principe de l’élection naturelle à la formation des instincts. Suivant Darwin, la modification de l’instinct, qui a d’abord été accidentelle, s’est transmise ensuite et s’est fixée par l’hérédité ; mais qu’est-ce qu’une modification accidentelle d’instinct ? C’est une action fortuite. Or une action fortuite peut-elle se transmettre héréditairement ? Remarquez la différence qu’il y a entre une modification d’organe et une modification d’instinct. La première, si légère, si superficielle qu’elle soit, fût-ce la couleur d’un plumage, est permanente et dure toute la vie : elle s’imprime d’une manière durable à l’organisation, et l’on conçoit qu’elle se transmette par l’hérédité ; mais un instinct n’est autre chose qu’une série d’actes donnés. Une modification d’instinct est donc une action particulière, qui vient fortuitement s’intercaler dans cette série. Comment croire que cette action, fût-elle répétée par hasard plusieurs fois dans la vie, pût se reproduire dans la série des actions des descendans ? Nous voyons les pères transmettre à leurs fils des habitudes toutes faites (encore faut-il faire la part de l’imitation et de la similitude des milieux) ; mais nous ne voyons pas que le fils reproduise les actions accidentelles du père. Que de faits ne faudrait-il pas citer pour rendre croyable une transmission héréditaire aussi étrange !

Si l’on doutait que M. Darwin fît une part aussi grande au hasard dans l’origine des instincts, je rappellerais l’exemple qu’il cite lui-même, à savoir l’instinct du coucou. On sait que la femelle de cet oiseau pond ses œufs dans un autre nid que le sien. Cet instinct, qui est propre au coucou d’Europe, n’a pas lieu chez le coucou