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l’emporte, cette idée se réfugie au fond des cœurs, lors même, que les esprits semblent n’en avoir plus conscience, et sitôt que l’horizon se rassérène, elle reparaît comme l’arc-en-ciel après l’orage. Lorsqu’un grand gouvernement militaire, déchirant les stipulations de 1804, imagina de recommencer en pleine civilisation moderne les expéditions d’Alexandre, cette pensée vint tout à coup combler le vide laissé par sa chute, et releva la France d’une défaite qui avait rouvert devant elle le cours de ses destinées véritables. On voit se reproduire le même phénomène dans des circonstances plus heureuses. En 1863, la nation retrouve, comme par l’effet d’une loi naturelle, les préoccupations élevées qui s’étaient voilées pour elle en présence des périls publics. Dégagée aujourd’hui, à un degré qui ne s’est jamais rencontré aux époques antérieures, de toutes les illusions des partis, elle portera dans la revendication de ses droits une volonté de plus en plus décidée, parce qu’elle discerne nettement ce qu’elle demande. Partout se révèle cette disposition générale de l’esprit public; c’est elle qui donne à des événemens d’une importance secondaire une portée immense; elle seule fait des tristes hasards de la mort une éclatante révélation pour le pays et un solennel enseignement pour le pouvoir.

Le gouvernement impérial a sans doute l’instinct trop sûr pour ne pas comprendre que l’état de l’esprit public le convie en ce moment à une mission non pas contraire à celle qu’il dut remplir dans la première partie de sa carrière, mais d’une portée plus élevée et plus durable. Au 10 décembre 1848, la France avait évoqué le nom de l’empereur Napoléon comme un talisman contre l’anarchie. Moins ferme par l’esprit que par le cœur, elle érigea un autel à la peur sous le trouble profond d’une échéance où l’on semblait avoir accumulé comme à plaisir tous les problèmes et tous les périls. De l’effroi général sortit la dictature de 1851, et son ombre se projeta plusieurs années sur le second empire, dont cette dictature avait été le silencieux berceau. Parfaitement indifférent durant cette période à la valeur théorique des institutions pour lesquelles on réclamait la sanction de ses suffrages, se considérant encore comme placé sous l’imminence d’un grand péril, le pays n’aspirait qu’à écarter du foyer domestique les dangers dont l’obscure perspective lui avait rendu quelque chose des épouvantes et des défaillances de la terreur. Bientôt le tempérament national, habilement surexcité, trouva dans les entreprises accomplies au dehors des satisfactions assez vives pour que le mouvement de la pensée publique s’arrêtât durant près de dix années en présence d’œuvres qui n’étaient pas sans éclat.

On ne manque pas de respect pour le pouvoir en signalant comme