Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessaire comme dans un refroidissement subit un poil plus long, plus épais : ceux qui auront obtenu cet avantage en profiteront et subsisteront, tandis que les autres périront. On voit que l’appropriation dans cette hypothèse résultera d’une rencontre entre la production accidentelle d’un avantage perfectionné par l’hérédité et un changement accidentel de milieu.

Voyons maintenant comment, à l’aide de ces principes, M. Darwin parvient à expliquer l’origine des espèces. C’est que, dans un même type donné, il peut se produire accidentellement des avantages de diverse nature, et qui ne se font pas concurrence : chacun profite du sien, sans nuire à celui qui en a un autre. De là des variétés différentes, bien armées, quoique différemment, pour la concurrence vitale. Ceux au contraire qui sont restés fidèles au type originel, et qui n’ont acquis aucun avantage nouveau propre à les conserver dans un milieu nouveau, ceux-là périssent. C’est ainsi que le type primitif disparaît ; les variétés extrêmes subsistent seules, et ces variétés, devenant de plus en plus dissemblables par le temps, seront appelées espèces, parce que l’on aura perdu les traces de leur origine commune.

Appliquons cette théorie à un exemple peu flatteur pour l’espèce humaine, mais qui est tellement indiqué ici que ce serait un faux scrupule que de ne pas aller jusque-là. L’une des objections les plus ardentes que l’on ait faites à Darwin, c’est que si sa théorie est vraie, il faut admettre que l’homme a commencé par être un singe, ce qui est fort humiliant : à quoi un partisan de M. Darwin a répondu « qu’il aimait mieux être un singe perfectionné qu’un Adam dégénéré. » Or, dans la théorie de M. Darwin, il n’est pas vrai que l’homme descende du singe, car s’il en descendait, comme il a sur lui un grand avantage, il l’aurait vaincu dans la concurrence vitale, et par conséquent l’aurait absorbé et détruit. Ce qui est vrai, c’est que le singe et l’homme dérivent l’un et l’autre d’un même type qui s’est perdu, et dont ils sont les déviations divergentes. En un mot, dans cette hypothèse, les singes ne sont pas nos ancêtres, mais ils sont nos cousins-germains.

Généralisons cet exemple. Il ne faut pas dire que les vertébrés ont été des mollusques, ni les mammifères des poissons ou des oiseaux ; mais les quatre embranchemens seraient quatre rayonnemens distincts partis d’une souche primitive. Dans chaque embranchement, le type primitif se serait également diversifié, et c’est par ces déterminations successives, cette addition de différences, cette accumulation de caractères nouveaux dans des séries toujours divergentes, que les espèces actuelles se sont produites. En un mot, le règne organisé a toujours été du général au particulier, et, comme