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ment la circonstance qui a fait prendre à tel organe la forme du poumon, à tel autre la forme de branchies ; quelle est la cause précise qui a fait le cœur, cette machine hydraulique si puissante et si aisée, et dont les mouvemens sont si industrieusement combinés pour recevoir le sang qui vient de tous les organes du cœur et pour le leur renvoyer ; quelle est la cause enfin qui a lié tous ces organes les uns aux autres, et a fait de l’être vivant, suivant l’expression de Cuvier, « un système clos, dont toutes les parties concourent à une action commune par une réaction réciproque. » Que sera-ce si nous passons aux organes des sens, au plus merveilleux, l’œil de l’homme ou celui de l’aigle ? Darwin lui-même s’arrête un instant, presque effrayé de ce problème. L’esprit de système qui le soutient le fait passer outre ; mais, parmi les savans qui n’ont pas de système, en est-il un qui ose soutenir qu’il entrevoie d’une manière quelconque comment la lumière aurait pu produire par son action l’organe qui lui est approprié, ou bien, si ce n’est pas la lumière, quel est l’agent extérieur assez puissant, assez habile, assez ingénieux, assez bon géomètre, pour construire ce merveilleux appareil qui a fait dire à Newton : « Celui qui a fait l’œil a-t-il pu ne pas connaître les lois de l’optique ? » Grande parole, qui, venant d’un si grand maître, devrait bien faire réfléchir un instant les improvisateurs de systèmes cosmogoniques, si savans sur l’origine des planètes, et qui passent avec tant de complaisance sur l’origine de la conscience et de la vie !

Ce qu’il y a de plus facile à expliquer, à ce qu’il semble, par les actions de milieu, c’est la coloration de la peau. Or on dispute même, et c’est un débat qui se prolonge encore entre les naturalistes, pour savoir si la différence de milieu peut expliquer la différence de la race caucasique et de la race nègre. Et même, par une contradiction piquante, ce sont souvent les mêmes naturalistes, si complaisans pour les actions extérieures quand il s’agit de rapprocher le singe de l’homme, qui deviennent les plus exigeans et les plus incrédules lorsqu’on cherche à expliquer par les mêmes actions la différence des blancs et des noirs. Sans entrer dans ce débat, je me contenterai de dire que si l’unité de l’espèce humaine est encore un problème pour les naturalistes, à plus forte raison en est-il de même pour l’unité de l’animalité tout entière.

Au reste, ce qui prouve mieux que tout raisonnement l’insuffisance du principe des milieux, c’est que les naturalistes les plus favorables à ce principe ne s’en sont pas contentés et en ont invoqué d’autres concurremment avec celui-là. Il y a même ici une remarque à faire, qui n’est pas sans intérêt : c’est que le naturaliste qui passe pour avoir attaché le plus d’importance à l’action des mi-