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certaine mesure. C’est l’ensemble de ces circonstances (air, eau, accidens météorologiques, éducation, etc.) que l’on appelle le milieu. Eh bien ! disent certains naturalistes, si c’était le milieu lui-même, qui, modelant, assouplissant l’animal à ses influences, le rend propre à vivre précisément au sein de ces influences, y aurait-il donc à s’étonner de l’accord qui existe entre les organes et le milieu, comme si l’on s’étonnait, par exemple, qu’un fleuve trouvât précisément un lit tout fait pour le recevoir, tandis que c’est lui-même qui se fait son lit ? Ce serait là un vrai cercle vicieux. Par exemple, serait-il raisonnable de dire que les paysans ont été doués par la nature d’une force d’organisation plus grande que celle des autres hommes, parce qu’ils étaient destinés à subir de plus grandes intempéries, le chaud, le froid, la pluie, la neige, le vent, et que la Providence leur a ménagé ainsi plus de chances de conserver leur existence, si nécessaire au bien-être de l’humanité ? N’est-il pas manifeste qu’on prendrait ici l’effet pour la cause ? Car si les paysans sont forts, c’est précisément parce qu’ils ont eu à résister à de nombreux accidens physiques qui fortifient quand ils ne tuent pas. De pareilles causes finales ne peuvent être admises par personne. Eh bien ! si l’on pouvait établir que toutes les modifications organiques ont pour cause une action de milieu, n’aurait-on point par là porté le coup le plus sérieux à la doctrine des causes finales ?

Il faut reconnaître que les conditions extérieures agissent sur l’organisation et la modifient, mais jusqu’où et dans quelle mesure ? C’est là le grand débat qui partage les naturalistes et qui donne lieu aujourd’hui à d’importantes recherches expérimentales. Nous n’avons pas l’intention de nous y engager. Jusqu’ici cependant il ne paraît pas que les actions de milieu, telles que nous pouvons les connaître et les observer, pénètrent bien profondément dans l’organisation. Les plus importantes sont celles que nous produisons artificiellement par la domestication ; mais avons-nous jamais créé un seul organe ? Quelque grande que l’on fasse la part à ces actions extérieures, on admettra difficilement qu’elles puissent déterminer la formation des organes les plus complexes et les plus importans. Par exemple, certains animaux respirent par les poumons et d’autres par les branchies, et ces deux sortes d’organes sont parfaitement appropriés aux deux milieux de l’air et de l’eau. Comment concevoir que ces deux milieux aient pu produire des appareils si complexes et si bien appropriés ? De tous les faits constatés par la science, en est-il un seul qui puisse justifier une extension aussi grande de l’action des milieux ? Si l’on dit que par milieu il ne faut pas seulement entendre l’élément dans lequel vit l’animal, mais toute espèce de circonstance extérieure, je demande que l’on me détermine quelle est précisé-