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scrupuleusement pesés par moi, ne me donnent pas une somme de causes égale à la somme des effets produits. Cette équation dégage ma responsabilité, rassure ma conscience et me cuirasse contre les fantômes ennemis... Je ne reconnais pour loi de ma nature que la loi de mon intelligence, et selon cette loi, inscrite il y a vingt siècles sur l’anneau d’Egypte, je suis pur de toute souillure. Courage donc et marchons en avant! »


VIII

Le mariage allait s’accomplir devant un petit nombre de témoins dans la chapelle particulière du château. Edmond était au pied de l’autel, à côté de sa belle fiancée; mais ses pensées flottaient hors du sanctuaire : il ne voyait ni le prêtre, ni Juliette, ni les regards sympathiques des amis qui l’entouraient; il attendait le spectre, il se préparait au combat surhumain dont la menace planait sur lui. Chacune de ses facultés, sentinelle vigilante, guettait l’approche de l’ennemi. Ses nerfs tendus à l’excès développaient en lui une sorte de sixième sens dont les perceptions subtiles étaient à la hauteur de cette tâche nouvelle qui consistait à voir l’invisible, à repousser l’impalpable. Rien au reste ne trahissait son angoisse intérieure. Son maintien était assuré, son attitude était imposante, et son regard limpide, son affable sourire, n’exprimaient qu’une joyeuse sérénité. Au moment où le prêtre se tournait pour bénir les jeunes époux, Edmond crut avoir victoire gagnée. Le gant jeté au fantôme n’avait pas été relevé. Dans la citadelle de l’âme, gardée de tout point, la vision hideuse n’avait pu pénétrer par aucune issue. Ce fut donc avec un geste d’orgueilleux triomphe qu’il étendit la main pour saisir celle de Juliette et cimenter ainsi leur union à jamais indissoluble...

Le fantôme l’attendait là : dans la main de Juliette, il vit celle de son frère Félix.

Ce n’était pas le moment de faiblir. Il voulut dégager la main de sa fiancée, ouvrir de force ces doigts de mort qui l’enveloppaient de leur étreinte; mais ceci lui fut impossible. L’améthyste le repoussait, l’améthyste dardait sur lui mille rayons haineux. Avec le sifflement du serpent et la vibration de ses brillantes écailles, l’améthyste lui disait tout bas : Ne fais pas obstacle à la main du sort. Vainement sa volonté se révoltait-elle. Frappés d’une sorte de paralysie, ses membres lui refusaient service. Le prêtre à ce moment prononça les paroles sacrées. Edmond entendait et voyait tout; il articula machinalement l’inviolable vœu. Il l’articula, chose horrible, au nom du mort...

La cérémonie avait pris fin; le mariage était accompli. Edmond,