Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc !... Une fatalité tout au plus... L’invoquer serait infâme, l’espérer serait coupable, l’attendre est permis... Lutter contre elle, l’anneau le défend. »

Ici est intercalée une lettre de l’intendant du comte, l’honnête Joachim Furchtegott Schumann, adressée à l’honorable baronne Thérèse N...-, l’amie et la correspondante de Juliette. Cette lettre est datée du 15 septembre et raconte en termes diffus le terrible événement de la veille. La voici par extraits et considérablement abrégée.

« ...Hier donc, très honorée madame, vers huit heures du matin, et par un temps fort couvert, nos deux jeunes seigneurs se mirent en campagne pour aller sur la Weidnitz tuer des canards sauvages. Le fils du garde-chasse était avec eux dans la barque, et ils n’avaient emmené qu’un chien d’arrêt, lequel, resté au rivage, les accompagnait en chassant. Monseigneur Félix était encore plus gai que de coutume, ainsi que l’a remarqué dans sa déposition le jeune garçon qui était de la partie. Assis sur l’avant, tandis que son frère était au gouvernail, et chaussé d’énormes bottes de marais, il s’amusait à faire pencher la nacelle tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, ce que lui fit remarquer monseigneur Edmond, ajoutant que, s’il tombait à l’eau, ses lourdes bottes l’empêcheraient de nager, à quoi monseigneur Félix répondit en riant que ses bottes lui semblaient une paire d’escarpins. Sur ces entrefaites, le chien dont j’ai parlé vint à faire partir une biche, et, rappelé à plusieurs reprises, — c’est un animal tout jeune, imparfaitement dressé, — continua de suivre la piste. Messeigneurs débarquèrent le fils du garde, chargé de leur ramener le chien, et cet enfant raconte qu’en s’éloignant du rivage il entendit encore pendant quelques minutes les éclats de rire de monseigneur Félix. Le chien ne fut rattrapé qu’au bout d’un quart d’heure, et lorsque le fils du garde revint de cette poursuite, il retrouva la barque fort au-delà du point où on lui avait donné rendez-vous. Elle était vide et nageait à la dérive, ce qui l’étonna tout d’abord. Il fit cependant cette réflexion que ses maîtres avaient pu descendre à terre, la barque mal attachée se remettre à flot, et dans cette supposition il appela de tous côtés, déchargeant aussi son fusil à plusieurs reprises. Aucune réponse à tous ces signaux. Ses perplexités lui revinrent alors, d’autant plus pressantes qu’il vit, accroché après une branche de saule, le bonnet du comte Félix. Le chien, devant ce bonnet, se mit à hurler, et l’honorée madame sait bien que c’est là un présage funèbre. L’enfant effarouché vint donner l’alarme au château, et dans l’espace de trois quarts d’heure les bords de la rivière furent littéralement couverts de gens accourus pour aider aux recherches et prêter secours. Quelques-uns s’étaient