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Un serrement de main fut échangé entre nous, et je le quittai sans ajouter un mot pour faire avancer une voiture de remise. Au moment où je remontais pour l’avertir qu’elle était prête, le banquier m’arrêta sur le seuil même de la chambre où était le comte : — Pardon, docteur,… veuillez m’excuser ;… mais l’argent ?… Que ferons-nous de l’argent ?

À travers la porte, légèrement entre-bâillée, le comte avait sans doute entendu la question, car il parut aussitôt, et après s’être excusé poliment sur le trouble qu’il avait pu causer dans la maison : — Vous voudrez bien, dit-il conserver en vos mains le montant de mes bénéfices… Monsieur que voici, ajouta-t-il en me montrant, viendra demain en prélever la moitié pour en disposer selon mes ordres ; quant au surplus, : je vous prierai de vouloir bien le distribuer au personnel de votre établissement comme compensation de l’embarras et des craintes que j’ai pu donner.

Je montai naturellement en voiture avec le comte, que j’accompagnai jusqu’à son hôtel, situé dans le faubourg Saint-Germain. C’était une magnifique maison meublée dont il occupait tout le premier étage, et au seuil de laquelle vint le recevoir le même valet de chambre à cheveux gris que je me rappelais avoir vu sur le pont du bateau à vapeur. C’est entre ses mains que je laissai le comte avec toutes les recommandations nécessaires et la promesse formelle de revenir le voir dès le lendemain matin. Quant à la comtesse, il n’en fut pas question ce soir-là, et une sorte de pressentiment intérieur m’avertit que je ne reverrais plus ses nobles traits, sa physionomie implacable. La Loreley avait disparu de ma vie.

Le comte, à notre seconde entrevue, m’accueillit avec une exquise bienveillance. Le prompt rétablissement qu’il s’obstinait à me devoir convenait tout à fait, me dit-il, aux nécessités de sa situation présente, qui exigeait son départ immédiat pour la Silésie ; il se sentait assez bien pour ne pas redouter la fatigue du voyage, et se mettrait en route dès le soir même… Mais auparavant il avait une requête à me présenter… Ces derniers mots me firent dresser l’oreille, car ils pouvaient être le point de départ de cette intimité croissante qui peut-être à la longue me livrerait un jour le secret dont la possession était devenue peu à peu, presque à mon insu, l’un des principaux buts de mon existence. Je fus toutefois déçu dans mon attente. — Vous savez, me dit le comte que j’ai disposé de vous hier au soir sans vous en demander la permission, et que vous devez vous présenter aujourd’hui même chez le banquier de la rue *** pour y recevoir une somme dont je ne connais pas le chiffre exact ; elle ne doit pas laisser d’être assez importante. Cet argent. dont l’origine me fait honte, il me serait pénible d’y toucher. Je ne suis pas un joueur, monsieur, faites-moi l’honneur de le croire. La