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L’ANNEAU D’AMASIS[1]


Ulla dilâgâ, to léonga (si Dieu donne, je prendrai).
(Proverbe mahratte. )
I

C’était en 1834, sur le Rhin, entre Mayence et Cologne. Le bateau à vapeur sur lequel j’avais pris passage portait le nom de la Loreley, cette sirène allemande sujet de tant de ballades et de tant de traditions diverses. Nos deux petits canons, qui venaient de saluer le Rheinstein, rechargés à nouveau, allaient rendre hommage à la mystérieuse marraine de notre léger navire, lorsque la conversation des passagers, dans ce moment-là fort animée, fut tout à coup interrompue par un choc bruyant. Ils tournèrent tous la tête, par un même mouvement, du côté où le bruit appelait leur attention, et virent avec surprise qu’il provenait d’une petite table brusquement renversée à terre par le plus grave, le plus silencieux, le plus réservé de la compagnie, — celui qu’on avait baptisé le « gentilhomme noir, » faute de connaître son nom, sa profession et le titre que sans doute il devait porter. Sa physionomie, son aspect général inspiraient le respect et forçaient pour ainsi dire à la déférence. Nulle morgue chez lui, rien qui repoussât la sympathie; mais en même temps rien qui permît de se familiariser, s’il ne vous y conviait lui-même, avec un personnage aussi éminemment distingué. Il était de ceux qui traversent une foule sans être exposés

  1. The Ring of Amasis (2 vol., Chapman et Hall, Londres), c’est le titre d’un roman qui vient d’obtenir en Angleterre un succès général et légitime. Cette composition originale, qui montre sous une face nouvelle le talent d’Owen Meredith, le fils de Bulwer, nous a paru mériter d’être connue en France, et le cadre du récit où nous essayons de la reproduire permettra mieux qu’une simple analyse d’en apprécier la valeur.