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que l’empereur et tous les hommes politiques entrevoient dans la situation présente de l’Europe. Nulle part peut-être la direction naturelle de l’intérêt autrichien dans cette crise n’a été plus fortement signalée que dans un écrit tout à fait remarquable qui vient de paraître sous ce titre : Des Conditions d’une paix durable en Pologne. L’auteur est le même écrivain polonais qui a publié, il y a quelques mois, la Pologne et la cause de l’ordre, brochure dont la Revue a plusieurs fois entretenu ses lecteurs. Quoi qu’il arrive au surplus, aucune évolution diplomatique, nous en avons le ferme espoir, ne peut réussir à écarter la question polonaise du premier plan qu’elle occupe sur le théâtre de l’Europe. Un des plus justes reproches qui aient été adressés au congrès de Vienne, c’est de n’avoir pourvu qu’aux intérêts des souverains et d’avoir éloigné de son œuvre le droit et l’âme des peuples. Pour la première fois aujourd’hui depuis qu’ils existent, les traités de 1815 pouvaient, dans le cas de la Pologne, prêter secours à une nation opprimée. Ils consacraient en faveur des Polonais une légalité bâtarde ; violée par la Russie d’après le témoignage de l’Europe entière, cette légalité ouvrait à la Pologne une nouvelle destinée. Ils fournissaient à l’Europe les élémens d’un arrêt pour proclamer la déchéance de la domination qu’ils avaient conférée à la Russie sur le royaume de Varsovie et sur les provinces polonaises. Est-ce en ce moment, lorsque, dépouillés par le temps de leurs plus malfaisantes dispositions, ils donnaient enfin à un peuple une arme de droit et de salut qu’il convenait d’en proclamer l’abrogation ? Pourquoi tant se hâter ? Est-ce bien l’honneur de la France qui réclamait cette impatience ? Il y a longtemps que les traités de 1815 ont perdu le droit de nous faire rougir, il y a longtemps que nous avons le droit de les montrer avec orgueil comme un trophée à ceux qui nous les avaient imposés. Nous pouvons leur dire : Malgré vous, malgré ces chaînes où vous nous aviez liés, la France a seule grandi sur le continent depuis un demi-siècle ; vous nous aviez trouvés épuisés et accablés, et maintenant nous sommes sains, et c’est vous qui êtes malades ; vous aviez cru nous affaiblir, et maintenant, après avoir condensé nos ressources et notre puissance dans les limites que vous nous aviez tracées, c’est nous qui sommes forts et vous qui êtes faibles. — Ce que nous avons à détester dans les traités de 1815, ce n’est plus qu’une date humiliante, et c’est toujours la cause de notre humiliation, cette politique infatuée qui deux fois a fait tomber la France presque expirante aux pieds de l’étranger ; mais, quant aux traités eux-mêmes, ils n’ont réussi qu’à établir aux yeux du monde la vitalité de notre race et la rapidité avec laquelle l’action féconde de la liberté a pu chez nous réparer les maux du despotisme.

Aussi, malgré le grand apparat de la perspective du congrès qui vient de nous être montrée, nous demeurons persuadés que le temps est passé pour la France où les diversions étrangères pouvaient y obscurcir l’intérêt des questions intérieures. La vive excitation que la pensée d’un congrès donne à l’opinion se reportera naturellement, quand les difficultés, les lenteurs,