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des idées libérales ou par d’égoïstes calculs? Est-ce afin de demeurer fidèles à la liberté religieuse que les Camus et les Grégoire rédigèrent leur plan minutieux de réglementation ecclésiastique et provoquèrent la guerre civile ? Brissot respectait-il les pacifiques doctrines de la constituante lorsque, pour conquérir une importance que ne comportait pas sa médiocrité, il poussait la législative à la guerre contre l’empire germanique, en attendant que Robespierre et Marat, qui employèrent à leur tour la même tactique, prêchassent la guerre contre l’univers civilisé? Est-ce aux principes d’inviolabilité royale et de responsabilité ministérielle consignés dans la constitution de 1791 qu’il faut imputer le meurtre juridique de Louis XVI et le régime sanglant inauguré par ce crime? Les idées qui présidèrent à la rédaction de la loi municipale de 1790 ont-elles quelque chose à démêler avec l’atroce dictature que s’arrogea la commune insurrectionnelle du 10 août pour préparer les attentats de septembre? Parce que la France avait voulu la liberté et que d’abominables calculs lui préparèrent la tyrannie, faudrait-il reporter sur les victimes la condamnation réservée aux tyrans? Bien loin que les doctrines de 89 aient jamais été funestes à la révolution française, c’est de la dérogation à ces principes tutélaires que sont issus, comme par une loi fatale, tous ses périls et tous ses malheurs, et l’on va voir que le soin constant de tous les pouvoirs réparateurs a été de se prévaloir de ces idées puissantes, lors même qu’ils n’ont pas tardé à les enfreindre, tant ils leur ont reconnu de force et d’autorité.


II

Du 2 septembre au 9 thermidor, la nation n’eut, comme Sieyès, qu’un seul souci, celui de vivre. Arrêtée dans la boue comme elle l’avait été dans le sang, on la vit, sous le directoire, résignée à tout, excepté toutefois à prendre au sérieux les parades gouvernementales que son inertie laissait jouer. Un homme la rendit, à elle-même en triomphant de la corruption par la gloire, et le merveilleux spectacle d’une restauration soudaine vint réveiller tous ses nobles instincts; mais, loin de la provoquer au désaveu des idées politiques auxquelles la France avait engagé sa foi à l’ouverture de la révolution, tous les auteurs de la journée du 18 brumaire, tous ceux qui reçurent mission de l’expliquer à la nation et à l’Europe, présentèrent ce coup d’état comme la sanction irrévocable des idées libérales au dedans, des espérances pacifiques au dehors. Si cette interprétation ne demeura pas jusqu’au bout en accord avec les faits, elle assura dans l’opinion le succès moral de l’événement dont les instigateurs principaux appartenaient tous au grand parti constitutionnel,