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les pêcheurs battent en retraite à leur tour et travaillent à reculons. Enfin, quand la lisière d’écume se resserre autour d’eux et les environne de cercles de plus en plus étroits, il ne leur reste qu’à sauter dans leur barque, soulevée par l’eau montante.

Poissons et coquillages sont portés à la ménagère, qui est le véritable chef de la maison, aussi bien à La Teste que dans toutes les autres villes du littoral français habitées par des pêcheurs. C’est la femme qui dirige seule les affaires de la communauté pendant les longues absences du mari. Sur elle peut tomber aussi d’un moment à l’autre tout le poids de la famille, et si par malheur l’homme périt dans quelque naufrage, c’est à elle qu’incombe le soin d’élever les fils pour ce dangereux métier de marin qui a déjà coûté la vie à leur père. La femme décide le plus souvent en dernier ressort dans toutes les transactions commerciales, et se charge de vendre les produits journaliers de la pêche. Avant que le chemin de fer de Bordeaux à La Teste fût construit, c’était bien souvent elle qui entreprenait, en charrette ou à cheval, le pénible voyage de Bordeaux ; en toute saison et par fous les temps, elle traversait de nuit les marais et les bruyères du Médoc afin d’arriver de bon matin sur le marché de la métropole et repartir aussitôt après avoir vendu sa marchandise. Les femmes et les poissonniers de profession étaient les seuls qui connussent la grande ville et qui en racontassent les merveilles aux pêcheurs et aux résiniers de La Teste, enfermés de tous côtés par le désert des landes.


II

Quelques années à peine s’étaient écoulées depuis la construction des premiers chemins de fer que déjà Bordeaux, jalouse de posséder aussi une petite voie ferrée comme Paris, Lyon et les grandes cités de l’Angleterre, demandait la concession d’une ligne dirigée sur La Teste. Certainement ce n’était point l’un des travaux publics les plus importans que l’on pût entreprendre à cette époque. Le poisson frais, destiné à former le grand élément du trafic, ne valait pas les 5 ou 6 millions de francs que devait coûter l’établissement du chemin de fer, et l’on ne pouvait guère espérer alors que la pose des rails aurait un jour pour résultat la mise en culture et le peuplement des landes. Néanmoins les capitalistes bordelais, soutenus par le patriotisme local, réussirent à constituer leur société, et le 7 juillet 1841, deux années avant que les chemins de fer de Paris à Orléans et à Rouen fussent inaugurés, celui de Bordeaux à La Teste était ouvert au public. Ainsi qu’on aurait pu s’y attendre, le trafic ne fut pas même assez considérable pour couvrir les frais de l’entreprise, et si