Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/462

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sciences physiques, sciences morales, c’est-à-dire sciences des réalités démontrables par l’observation ou par le témoignage, telles sont donc les sources uniques de la connaissance humaine. C’est avec leurs notions générales que nous devons construire la pyramide progressive de la science idéale. Aucun problème ne lui est interdit : loin de là, elle seule a qualité pour les résoudre, car la méthode que je viens d’exposer est la seule qui conduise à la vérité.

Quelle est la certitude des résultats fournis par la méthode qui nous sert de guide dans la science idéale, voilà ce qui nous reste à examiner. La vérité, nous devons l’avouer, ne saurait être atteinte par la science idéale avec la même certitude que par la science positive. Ici éclate l’imperfection de la nature humaine. En effet, la science idéale n’est pas entièrement formée, comme la science positive, par une trame continue de faits enchaînés à l’aide de relations certaines et démontrables. Les notions générales auxquelles arrive chaque science particulière sont disjointes et séparées les unes des autres dans une même science, et surtout d’une science à l’autre. Pour les rejoindre et en former un tissu continu, il faut recourir aux tâtonnemens et à l’imagination, combler les vides, prolonger les lignes. C’est en quelque sorte un édifice caché derrière un nuage et dont on aperçoit seulement quelques contours. Cette construction est nécessaire, car chaque homme la fait à son tour, et construit à sa manière, d’après son intelligence et son sentiment, le système complet de l’univers ; mais il ne faut pas se faire illusion sur le caractère d’une telle construction. Plus on s’élève dans l’ordre des conséquences, plus on s’éloigne des réalités observées, plus la certitude ou, pour mieux dire, la probabilité diminue. Ainsi, tandis que la science positive une fois constituée l’est à jamais, la science idéale varie sans cesse et variera toujours. C’est la loi même de la connaissance humaine. Ce qu’il s’agit de faire aujourd’hui, c’est de constater cette loi et de s’y conformer, en sachant à l’avance que tout système n’a de vérité qu’en proportion, non de la rigueur de ses raisonnemens, mais de la somme de réalités que l’on y introduit. Il ne s’agit plus désormais de choisir le système, le point de vue le plus séduisant par sa clarté ou par les espérances qu’il entretient. Rien ne sert de se tromper soi-même. Les choses sont d’une manière déterminée, indépendante de notre désir et de notre volonté.

Parmi les hommes distingués qui font aujourd’hui profession de métaphysique, beaucoup ne paraissent pas encore avoir compris cette nouvelle manière de poser le problème ; ils discutent contre des faits qui ne sauraient être attaqués par le syllogisme ; ils affirment comme des réalités ce qu’ils ont emprunté au seul raisonne-