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douter qu’elles ne soient exactement observées en tout ce qui est ou qui se fait dans le monde. » Et plus loin[1] : « Mais l’ordre que j’ai tenu en ceci a été tel. Premièrement j’ai tâché de trouver en général les principes ou premières causes de tout ce qui est ou qui peut être dans le monde, sans rien considérer pour cet effet que Dieu seul qui l’a créé, ni les tirer d’ailleurs que de certaines semences de vérité qui sont naturellement dans nos âmes. Après cela, j’ai examiné quels étaient les premiers et plus ordinaires effets qu’on pouvait déduire de ces causes, et il me semble que par là j’ai trouvé des deux, des astres, une terre, et même sur la terre de l’eau, de l’air, du feu, des minéraux, et quelques autres telles choses, qui sont les plus communes de toutes et les plus simples, et par conséquent les plus aisées à connaître. Puis, lorsque j’ai voulu descendre à celles qui étaient plus particulières, il s’en est tant présenté à moi de diverses, que je n’ai pas cru qu’il fût possible à l’esprit humain de distinguer les formes ou espèces de corps qui sont sur la terre — d’une infinité d’autres qui pourraient y être, si c’eût été le vouloir de Dieu de les y mettre, ni par conséquent de les rapporter à notre usage, si ce n’est qu’on vienne au-devant des causes par les effets, et qu’on se serve de plusieurs expériences particulières. » J’ai cru devoir rapporter ce passage, quoique un peu long, à cause de la netteté avec laquelle Descartes y caractérise sa méthode. Ce grand mathématicien, que l’on a souvent présenté comme l’un des fondateurs de la méthode scientifique moderne, place au contraire le raisonnement et la déduction au début et dans tout le cours de sa construction. L’expérience n’y intervient que comme accessoire et pour démêler les complications extrêmes du raisonnement.

Il n’est pas jusqu’au dernier des métaphysiciens, Hegel, qui n’ait voulu à son tour reconstruire le monde à priori, en identifiant les principes des choses avec ceux d’une logique transformée. L’idéal des philosophes a presque toujours été « un système de principes et de conséquences qui soit vrai par lui-même et par l’harmonie qui lui est propre[2]. » Eh bien ! il faut le dire sans détour, cet idéal est chimérique : l’expérience des siècles l’a prouvé. Dans le monde moral aussi bien que dans le monde physique, toutes les constructions de systèmes absolus ont échoué, comme dépassant la portée de la nature humaine. Bien plus, une telle prétention doit être regardée désormais « comme la chose la plus opposée à la connaissance du vrai dans le monde physique, aussi bien que dans le

  1. Discours sur la Méthode, vie partie.
  2. Tennemann, Manuel de l’Histoire de la Philosophie, traduction de M. Cousin, t. Ier, p. 43 (1839).