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Voici maintenant le monde expliqué par des considérations purement logiques. « Du temps de ces philosophes et avant eux[1], ceux qu’on nomme pythagoriciens s’appliquèrent d’abord aux mathématiques. Nourris dans cette étude, ils pensèrent que les principes des mathématiques étaient les principes de tous les êtres. Les nombres sont de leur nature antérieurs aux idées, et les pythagoriciens croyaient apercevoir dans les nombres, plutôt que dans le feu, la terre et l’eau, une foule d’analogies avec ce qui est et ce qui se produit. Telle combinaison des nombres leur semblait la justice, telle autre l’âme et l’intelligence. » C’est pourquoi « ils pensèrent que les nombres sont les élémens de tous les êtres. »

Mais je ne veux pas retracer ici l’histoire de la métaphysique. Il me suffira d’avoir montré par quelques exemples comment elle a procédé à l’origine. Le vrai caractère de sa méthode se manifeste sans déguisement dans ces premiers essais naïfs où chaque philosophe, frappé vivement par un phénomène physique ou moral, le généralise, en tire par voie de raisonnement une construction complète et l’explication de l’univers. Depuis lors jusqu’aux temps modernes, quels qu’aient été l’art et la profondeur de ses constructions systématiques, la métaphysique n’a guère changé de procédé. Elle pose un ou plusieurs axiomes, empruntés soit au sens intime, soit à la perception extérieure ; puis elle opère par voie rationnelle et conformément aux règles de la logique. Elle poursuit la série de ses déductions jusqu’à ce qu’elle ait constitué le système complet du monde, car, comme dit Aristote, « le philosophe qui possède parfaitement la science du général a nécessairement la science de toutes choses… Ce qu’il y a de plus scientifique, ce sont les principes et les causes. C’est par leur moyen que nous connaissons les autres choses, tandis qu’eux, ce n’est pas par les autres choses que nous les connaissons[2]. »

Le triomphe de cette méthode est dans l’érection des grandes machines scolastiques du moyen âge, où le syllogisme, partant de certains axiomes imposés dogmatiquement et au-dessus de toute discussion, règne ensuite en maître de la base au sommet. Jusque dans les temps modernes, Descartes, qui renverse l’ancien édifice de l’autorité philosophique, demeure fidèle à la méthode déductive. « J’ai remarqué, dit-il[3], certaines lois que Dieu a tellement établies dans la nature, et dont il a imprimé de telles notions en nos âmes, qu’après y avoir fait assez de réflexion nous ne saurions

  1. Aristote, Métaphysique, livre Ier ; trad. de MM. Pierron et Zévort, p. 23.
  2. Métaphysique, livre Ier ; traduction déjà citée. Le texte est plus énergique : Διὰ γὰρ ταῦτα καὶ ἐκ τούτων τἆλλα γνωρίζεται ἀλλ’ οὐ ταῦτα διὰ τῶν ὑποκειμένων.
  3. Discours sur la Méthode, ve partie.