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I

Complément du travail accompli par les siècles au sein de l’Europe chrétienne, la révolution française fut une œuvre purement politique, malgré les efforts puérils tentés afin de transformer le Jeu de Paume en Sinaï et de déguiser Mirabeau en Moïse. Les premiers instigateurs du mouvement de 89, professant les opinions religieuses les plus opposées, n’eurent jamais la prétention d’apporter au monde une solution nouvelle des grands problèmes élucidés par le christianisme. Si d’implacables passions firent pénétrer la révolution dans la sphère, des consciences, qu’elle avait déclarée inviolable, cette ingérence vint signaler la première et la plus périlleuse violation de ses principes. Les deux cents curés qui décidèrent la victoire de l’assemblée nationale par leur réunion aux députés du tiers-état après la déclaration royale du 23 juin ne soupçonnaient pas qu’en prêtant le serment de donner une constitution à la monarchie, ils protestaient contre la chute d’Adam, et qu’ils préparaient, comme cela a été doctement démontré, la réhabilitation de la chair, depuis dix-huit siècles opprimée par l’esprit!

Mais si l’œuvre de 89 ne revêtit aucun caractère dogmatique, elle eut certainement une portée morale qui ne s’était révélée dans aucun autre événement. Ni les luttes de la suzeraineté royale contre la féodalité, ni celles des grands municipes de l’Italie n’avaient soulevé durant le moyen âge de questions où le sort du monde se trouvât aussi profondément engagé. Dans les temps modernes, les conflits de la couronne et de l’aristocratie britanniques n’avaient en dehors de l’Angleterre remué aucune passion ni suscité aucune espérance; enfin, quoique la récente insurrection de l’Amérique eût éveillé de généreuses ardeurs dans la jeune noblesse française, l’humanité tout entière ne pouvait associer son avenir à la cause de ces planteurs, aussi résolus à maintenir l’esclavage dans leurs domaines qu’à se séparer de la mère-patrie.

Il appartenait à la race la plus logique dans ses idées, la plus capable de se dévouer pour leur triomphe, de préparer l’avènement d’une pensée assez sympathique pour être comprise de tous les peuples, assez puissante pour renouveler la face du monde. Constituées par la conquête, composées de races juxtaposées sans être encore confondues, les vieilles sociétés européennes étaient appelées à suivre de loin la France dans les applications de cette rigoureuse géométrie sociale qu’une génération pleine de confiance faisait succéder tout à coup au régime fondé sur les accidens de l’histoire. Instituer par l’élection une vaste hiérarchie mobile, donner au pour, voir la volonté nationale pour titre, la publicité pour moyen, les