Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le caractère de l’Anglais en voyage subit par cette raison même une modification heureuse. Il y a bien çà et là des touristes taciturnes, inflexibles sur le chapitre de l’étiquette, et qui n’adressent jamais la parole aux personnes qui ne leur ont point été présentées, introduced ; mais ils constituent certainement une exception très rare. Le plus souvent la réserve habituelle des manières fait au contraire place à une joyeuse et cordiale expansion, surtout avec les étrangers. L’Anglais qui a voyagé n’est plus le même homme. Je parle surtout de celui qui a voyagé sur le continent ; mais ceux-là mêmes qui ont longtemps parcouru le royaume-uni ont tous secoué en chemin beaucoup de préjugés. L’influence du déplacement, le commerce avec des lieux nouveaux et des figures nouvelles agissent peut-être d’une manière encore plus frappante sur le caractère des Anglaises. Immédiatement après les noces, la lune de miel s’inaugure chez nos voisins par une excursion de quelques semaines (honey moon trip), destinée à consacrer par les fêtes de la nature les chastes joies de l’amour légitime. À partir de ce jour-là, les frais d’un voyage tous les automnes figurent généralement dans le budget des charges domestiques. Si, par un concours de circonstances fâcheuses, ce voyage n’a point lieu, et qu’une maladie survienne dans l’année, la mère de famille ne manque guère d’en accuser la privation du changement d’atmosphère. Il se peut d’ailleurs que le climat lourd et humide de la Grande-Bretagne exige le déplacement, et que les Anglais, en renouvelant leur colonne d’air, ne fassent qu’obéir à une des lois de l’hygiène nationale.

Cédant à un usage si répandu, je me dirigeai à la fin de l’été dernier (1863) vers la Cornouaille. Ce qui m’attirait de ce côté de l’Angleterre, c’est la curiosité du nouveau et de l’imprévu. Quoique traversé depuis quelques années par des lignes de chemin de fer, ce comté a conservé, comme on dit de nos jours, une individualité forte. En dépit de ses rochers sauvages et de ses côtes abruptes, il a été moins défloré que d’autres par les touristes. Un intérêt particulier ne s’attache-t-il point en outre à une contrée si justement célèbre pour la richesse de ses mines et pour les travaux héroïques de ses mineurs ? Avant de m’occuper de ce grand théâtre de faits, je voudrais étudier d’abord le caractère général du pays et la manière de vivre des habitans.


I

C’est par le bateau à vapeur qu’on doit entrer dans la vieille Cornouaille ; autrement par le chemin de fer on perdrait beaucoup trop là vue du Tamar. Cette rivière, qui prend sa source dans de