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nommer encore) : est-ce hasarder beaucoup que de dire que la musique n’a point eu de plus beaux jours que les nôtres ? Est-elle aussi un de ces arts équivoques, inférieurs, qui, sans racines dans l’âme et dans la nature, puissent, à l’aide du calcul et de l’adresse, obtenir des succès de circonstance et un éclat passager ? Elle serait seule, que le temps qui l’a vue produire les chefs-d’œuvre consacrés dans le souvenir de tous ne pourrait être tenu pour déshérité par le génie de l’art ? Non, toutes les muses ne nous ont pas abandonnés.

Si j’osais, si je ne redoutais certains anathèmes, j’ajouterais que le XIXe siècle a été pour la France le réveil de la poésie. Elle n’a pas eu de plus grands poètes que de nos jours : ceux qu’elle appelle ainsi dans le passé sont surtout de grands écrivains ; à l’exception de quelques morceaux dont le dénombrement serait assez court, la poésie dramatique peut réclamer presque seule tout ce qu’ils ont légué à notre admiration. Or la poésie dramatique n’est qu’accidentellement la poésie. Celle-ci a pour champ l’épique et le lyrique. Je ne sais même si elle ne retrouve pas plus aisément sa place dans le genre descriptif que dans le dialogue le plus émouvant. L’effet dramatique couvre l’effet poétique. N’insistons pas, et laissons au lecteur qui a de la mémoire le soin de décider si nos oreilles n’ont pas entendu des chants qui n’ont été, pour l’harmonie, la verve, l’émotion, surpassés dans aucune langue. Et puis (ce nom peut être cité) André Chénier, dans ses essais si divers, est-il donc, pour qui lit sans préjugé, moins voisin de l’antiquité que ceux de nos classiques qui passent pour s’être le plus approchés d’elle ? Je m’attache à ce nom, parce que c’est celui d’un poète qui a pris l’étude et l’effort pour les procédés indispensables du talent. Il offre plus d’une analogie avec ces artistes critiques qui m’ont occupé dans cette étude. Lui aussi, il a imité le Parthénon et rebâti des propylées, et il a réussi, et l’imitation ne l’a pas empêché d’être original. En songeant à Théocrite, à Properce, à Simonide, à Alcée, il a été lui-même. Que son exemple guide le génie critique et ne décourage pas le génie créateur.


CHARLES DE REMUSAT.