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les trois jeunes filles, dont la physionomie exprimait la nuance de plaisir et d’étonnement que chacune d’elles venait d’éprouver, avais-je raison de vous tant parler du chevalier Sarti ?


III

Le lendemain matin, le chevalier quitta Schwetzingen pour retourner à Manheim, dont il aimait le séjour. Revenu dans son petit appartement, entouré de ses livres, d’un piano et de quelques gravures de Canaletto qui représentaient différentes vues de Venise, il fut heureux de retrouver sa chère solitude. Depuis longues années, il avait contracté l’excellente habitude de tenir un journal où il se plaisait à consigner les principaux événemens de sa vie, ses impressions, le résultat de ses lectures, tout ce qui frappait son esprit ou intéressait son cœur. Le chevalier parcourait souvent ce livre de sa destinée, où le nom de Beata était inscrit à chaque page comme le résumé final de ses efforts, comme l’étoile polaire vers laquelle se tournaient incessamment sa raison et son âme. Le lendemain de son arrivée de Schwetzingen, le chevalier écrivit dans ce journal, écho de sa joie et de ses tristesses : « Fanny, Aglaé, Frédérique, tutte care… ma l’una più cara dell’ altre ! (charmantes toutes trois,… mais l’une plus charmante que les autres. ») C’était là un simple aperçu, une première ébauche de la sensation agréable, mais confuse, que les trois jeunes filles avaient produite sur le chevalier. Fanny cependant l’avait frappé bien plus que ses deux cousines, parce qu’elle était la fille de Mme de Narbal et d’un âge plus rapproché du sien.

Quinze jours s’étaient à peine écoulés depuis son retour à Manheim, que Mme de Narbal écrivait au chevalier : « Vous nous oubliez, chevalier, vous nous laissez avec nos regrets et sous le charme de tout ce que nous avons entendu ! Ma fille et mes nièces ne cessent de me demander quand nous aurons le plaisir de vous revoir. En attendant, nous parlons de vous et de cette délicieuse chanson qui me trotte dans l’esprit depuis quinze jours :

Nel cor più non mi sento
Brillar la gioventù…


« Venez nous conter cette histoire-là, car je suis bien sûre qu’il y a là-dessous quelque épisode de clair de lune. Ma voiture est à vos ordres. Écrivez-moi un mot. »

Le chevalier retourna à Schwetzingen et descendit chez Mme de Narbal, qui ne voulut pas souffrir qu’il logeât à l’auberge. — Une fois pour toutes, lui dit-elle, vous feriez plus que me désobliger en