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l’avons déjà dit, un souvenir de son grand-père, le ministre de Charles-Théodore, qui avait voulu donner à sa femme un témoignage permanent de l’amour quelle lui avait inspiré.

— Y a-t-il sous le ciel de l’Italie de plus belles nuits que celle-ci ? dit Mme de Narbal en prenant familièrement le bras du chevalier.

— Non, madame, et il y a longtemps que je n’ai respiré un air aussi pur.

— Nous serions tous charmés, répliqua la comtesse après un court silence, si notre pays pouvait vous plaire, monsieur le chevalier, et vous retenir quelque temps parmi nous. Du moins nous efforcerons-nous de vous en rendre le séjour aussi agréable que possible, ajouta-t-elle avec la sincérité d’accent qui lui était propre.

Plus touché qu’il n’osait l’avouer de ce témoignage de franche sympathie, le chevalier ne trouva pas un mot à y répondre. Le silence qu’il gardait aurait fini par l’embarrasser, si M. Thibaut, se détachant du groupe des trois cousines qui s’entretenaient avec Mme Du Hautchet, ne fût venu lui dire :

— On conspire contre vous, mon cher chevalier. Je vous ai tellement calomnié auprès de ces dames qu’elles ont le plus vif désir de vous entendre. Montrez à ces jeunes filles, je vous en prie, comment on exprime ce qu’on sent et quelle est la puissance de l’art sur la nature, je veux dire de l’esprit sur la matière.

— Docteur, répondit le chevalier, je ne vous croyais pas si perfide ! Vous voulez immoler la victime après l’avoir couronnée de fleurs. Vous savez très bien que je suis comme un vieux rossignol enroué qui a passé l’âge des amours.

— Je ne m’y fierais pas, répliqua M. Thibaut en riant.

On insista auprès du chevalier. Mmes de Narbal et Du Hautchet se joignirent à M. Thibaut pour vaincre la répugnance qu’a toujours éprouvée le chevalier de chanter avec une voix médiocre devant des personnes inconnues. Il céda pourtant aux sollicitations réitérées qu’on lui fit, surtout pour ne pas désobliger Mme de Narbal, dont la simplicité affectueuse lui avait gagné le cœur. On rentra dans le salon. Le chevalier se mit au piano avec une bonne grâce parfaite dont tout le monde lui sut gré. Il éteignit les bougies qui brûlaient encore dans les bobèches d’argent, et pria qu’on éloignât la lampe qui était sur la cheminée, en disant : — Je tiens à ne pas détruire en un instant toutes les illusions que le savant docteur a pu faire concevoir de moi.

Les dames s’assirent en cercle autour du piano. Mme de Narbal et M. Thibaut étaient à la droite du chevalier, Mme Du Hautchet et M. de Loewenfeld à sa gauche ; au fond, près de la porte, les trois