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Il se fit un peu de silence après ce compliment naïf de la comtesse. Mme Du Hautchet, qui ne comprenait pas grand’chose à ces finesses de langage et de sentiment, et qui trouvait au fond que la musique de Mozart était une vieillerie fort peu amusante, insistait auprès de Frédérique pour lui faire dire quelque morceau du nouvel opéra qu’elle avait entendu récemment à Manheim. Elle fit part de son désir à Mme de Narbal, qui décida ses nièces à chanter le duo du Freyschütz entre Agathe et Annette. Aglaé ne se fit pas longtemps prier, et, joyeuse de faire entendre de nouveau sa jolie voix de soprano, elle conduisit au piano sa cousine Frédérique, qui n’obéissait qu’à regret au désir de sa tante. La comtesse voulut accompagner elle-même le morceau qui avait été choisi, afin que Frédérique fût moins gênée dans l’émission de sa voix et que le chevalier pût juger plus favorablement des avantages naturels de sa nièce, pour qui elle avait une affection particulière. Frédérique portait ce jour-là une robe de mousseline à fond blanc, parsemée de petites arabesques dont les couleurs voyantes faisaient mieux ressortir sa taille svelte aux ondulations voluptueuses. Son buste, admirablement dessiné, s’évasait en courbes élégantes dont on pouvait suivre les sinuosités sous un corsage montant et scrupuleusement fermé. De belles tresses blondes, enroulées autour de la tête et contenues par des épingles en or, laissaient échapper deux longues mèches qui se jouaient mollement sur un cou d’albâtre, qui supportait avec grâce un si riche fardeau. La petite fleur bleue, fixée dans un repli de cette chevelure abondante, penchait un peu sur l’oreille gauche, comme un symbole de la poésie de la nature. Frédérique, qui chantait la partie d’Agathe, eut de la peine à faire sortir sa voix un peu sourde, qu’on ne lui avait pas appris à bien diriger. Raffermie par un encouragement de M. Thibaut, elle dit avec une émotion visible la phrase incidente :

Tout a pour toi des charmes,


où se révèle le caractère mélancolique d’Agathe, en opposition avec la gaîté insouciante de son amie Annette. Ce contraste de deux natures de femmes très différentes, admirablement rendu par le musicien, se prolonge jusqu’à la fin du morceau sans nuire à l’unité de l’impression. Lorsque la tendre Agathe, le cœur oppressé par de sinistres pressentimens, exprime le trouble qui l’agite en quelques notes profondes et touchantes, pendant que son amie l’accompagne des mièvreries de son enjouement, le chevalier se sentit frappé comme par une baguette magique qui aurait fait sourdre de son âme une source cachée de vie nouvelle. Il regarda avec étonnement la jeune fille qui produisait en lui une telle émotion, puis il baissa la