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à peu entre Mme de Narbal et Lorenzo Sarti, dont la conversation animée et l’esprit romanesque plurent beaucoup à cette aimable femme. Depuis la mort de son mari, Mme de Narbal avait pour ainsi dire concentré en elle-même une sensibilité extrême et un besoin d’expansion qu’elle n’avait pas trouvé l’occasion de satisfaire. Les opinions politiques du chevalier, l’isolement d’une existence qui paraissait avoir été agitée, ses connaissances variées et le goût éclairé qu’il avait en musique firent, impression sur l’âme naïve et pure de Mme de Narbal, qui n’avait point à s’inquiéter des suites d’une relation aimable. Elle fit des efforts pour rendre sa maison agréable à Lorenzo en lui donnant les marques les moins équivoques d’une véritable sympathie. Le chevalier, qui, sous une apparence de résolution, cachait une certaine timidité dans le monde, dont il craignait l’influence gênante, se laissa gagner par la cordialité de l’accueil que lui faisait Mme de Narbal. Il en résulta des rapports fréquens et affectueux, où Mme de Narbal trouvait un intérêt chaque jour plus vif. Elle présenta le chevalier au petit nombre de personnes de la ville de Schwetzingen qu’elle recevait dans sa maison et n’avait pas de plus grand plaisir que de faire l’éloge du noble étranger.


II

Un jour que le chevalier Sarti dînait pour la première fois chez Mme de Narbal, il y avait parmi les convives peu nombreux une Mme Du Hautchet, Française d’origine. Mme Du Hautchet descendait d’une ancienne institutrice qui était venue chercher fortune à la cour du grand-duc Charles-Théodore. Elle avait épousé un magistrat de la petite ville de Schwetzingen, dont elle était séparée depuis quelques années. Le mari avait été obligé de s’expatrier je ne sais trop pour quel motif, et Mme Du Hautchet avait pris alors le nom français de son aïeule maternelle. C’était une femme à peu près de l’âge de Mme de Narbal, de trente-cinq à quarante ans, encore très agréable, et qui ne manquait pas d’esprit. Elle avait été fort courtisée dans sa jeunesse et ne s’était pas résignée à la solitude que le temps et son veuvage forcé avaient faite autour d’elle. Sans enfans et jouissant d’une grande aisance, Mme Du Hautchet n’avait d’autre occupation que de chercher à utiliser les restes d’une beauté qu’elle n’entendait pas sacrifier aux dieux inconnus. Toujours mise avec une certaine recherche, quoiqu’elle manquât de goût, particulièrement dans l’ajustement de sa coiffure, qu’elle surchargeait de colifichets et de plumes rares, Mme Du Hautchet avait des formes potelées et un visage florissant où brillaient de très