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le remède a été pire que le mal. M. le duc de Broglie manquait, dans ses rapports avec les chambres, de cette souplesse complaisante que les maîtres impérieux cherchent avant tout; mais cette qualité est la dernière qu’un pays libre doit exiger de ses ministres. Tout homme qui cède facilement aux influences de presse ou de tribune devrait être plutôt suspect. La fierté, même incommode, est un bon signe. Ce que M. le duc de Broglie était devant les chambres, il l’était devant le roi, devant les factions et devant l’Europe; c’était assez pour qu’on pût lui passer quelques mots brusques, parfaitement justifiés d’ailleurs par les outrages dont on l’abreuvait. La France reviendra certainement quelque jour au gouvernement parlementaire, et même beaucoup plus tôt que nous ne l’avions espéré ; qu’elle apprenne par cette expérience à se respecter elle-même dans ceux qui la servent.

Le plus ancien, le plus éprouvé des gouvernemens constitutionnels nous donne à cet égard un grand exemple. La vie des ministres anglais est beaucoup moins dure que ne l’était, sous la dernière monarchie, celle des ministres français. Sans doute, dans les occasions importantes, la nation sait prendre les moyens de faire prévaloir sa volonté; mais dans le cours habituel des choses on combat à armes courtoises. Rien de pareil à cette cohue étourdissante, à ces perpétuels assauts dont nos chambres ont présenté trop souvent le triste spectacle; rien de pareil surtout à cette polémique furibonde des journaux, qui a fini par faire croire à la nation épouvantée qu’elle ne pourrait trouver de repos que dans l’asservissement de la presse. Le propre des institutions libres, c’est de démêler dans la foule et de pousser aux affaires les hommes qui donnent le plus de garanties par leur talent et par leur caractère; quand ils y sont, on ne gagne rien à les tourmenter outre mesure. Les peuples sages tiennent au contraire grand compte des services passés. En ce moment, l’Angleterre est gouvernée par un homme qui a plus de cinquante ans de ministère, et chez nous M. le duc de Broglie n’a pas été ministre trois ans. Plusieurs fois, il est vrai, il aurait pu reprendre le pouvoir; il a mieux aimé s’abstenir. En 1838, il eut le malheur de perdre Mme la duchesse de Broglie, enlevée subitement par une fièvre cérébrale, et cette perte a jeté sur le reste de sa vie un voile de tristesse que rien n’a pu soulever.

La plupart des questions engagées pendant qu’il dirigeait la politique extérieure se poursuivirent sous ses successeurs ; elles donnèrent lieu à des discussions qui ne lui permirent pas de garder le silence. Une des plus importantes était l’affaire d’Espagne. Le parti légitimiste accusait le ministère qui avait reconnu la reine Isabelle d’avoir favorisé en Espagne l’abolition de la loi salique, et, en rendant