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chambres; ils voulurent encore se faire journalistes, pour travailler sous une autre forme à l’éducation nationale. Le métier de journaliste, aujourd’hui décrié et mis presque hors la loi, était alors en grand honneur parmi les hommes les plus considérables de tous les partis. Dans la droite M. de Chateaubriand, M. Benjamin Constant dans la gauche, ne dédaignaient pas de se mêler à ces luttes quotidiennes. Le groupe qu’on appelait doctrinaire, et qui formait une sorte d’intermédiaire entre la droite et la gauche, voulut aussi avoir ses organes. Le Globe et la Revue française furent fondés à peu près en même temps. Là écrivaient presque tous ceux qui sont devenus ministres sous la monarchie de 1830 et qui remplissent aujourd’hui l’Académie française. La Revue des Deux Mondes doit un souvenir particulier à la Revue française, qui l’a précédée ; créé à l’imitation des revues anglaises, ce recueil est un des premiers qui aient importé en France l’habitude des discussions graves et développées, car le Conservateur et la Minerve se rapprochaient beaucoup plus de la polémique des journaux proprement dits. Les articles n’y étaient pas signés, suivant l’usage anglais; mais la plupart n’avaient d’anonyme que l’apparence. La Revue française a cessé de paraître en 1830, quand presque tous ses rédacteurs sont entrés dans les affaires. La Revue des Deux Mondes a commencé l’année suivante.

Les divers morceaux publiés par M. le duc de Broglie dans la Revue française attestent à la fois la variété et la profondeur de ses études. Dans l’article sur l’existence de l’âme à propos du livre de M. Broussais, De l’Irritation et de la Folie, c’est un métaphysicien qui parle, un véritable métaphysicien. M. Broussais, élève de Cabanis, n’avait pas écrit seulement un ouvrage de médecine, mais un traité de philosophie, moitié dogmatique, moitié polémique; il y niait l’existence de l’âme, et se moquait de la méthode d’observation appliquée aux faits de conscience, c’est-à-dire de cette science nouvelle, la psychologie, que M. Royer-Collard avait inaugurée dans son court enseignement philosophique, et dont M. Cousin était le brillant interprète. Sans s’attacher précisément à défendre l’observation psychologique, l’écrivain prend à son tour l’adversaire corps à corps. La foi spiritualiste a ses obscurités, elle ne peut pas expliquer l’inexplicable; mais la doctrine matérialiste est cent fois plus obscure, plus incompréhensible, et la plus simple, la plus claire, la plus logique des deux solutions est encore celle qu’adopté le témoignage universel de l’humanité : telle est la thèse qu’il développe avec une grande puissance de raisonnement. Nul ne parle plus aisément, plus sûrement, la langue spéciale de ces questions subtiles. Le livre de M. Broussais avait eu un assez grand succès de verve et