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l’effet de la pesanteur. D’un autre côté, la force que nous appelons cheval-vapeur élève en une seconde 75 kilogrammes à 1 mètre de hauteur, ou, ce qui revient au même, 15 kilogrammes à 5 mètres. Pour que la machine à vapeur de la force d’un cheval pût se soutenir elle-même en l’air, il faudrait donc qu’elle ne pesât que 15 kilogrammes. Or les machines pèsent aujourd’hui pour le moins de 500 à 600 kilogrammes par cheval de force[1]; il faudrait par conséquent que le poids en fût réduit environ quarante fois. Encore doit-on remarquer que le moteur de l’aéronef devra non-seulement se soutenir en l’air, mais encore s’enlever de terre, emportant avec lui, outre son propre poids, l’appareil auquel il est attaché, et qu’en plus il devra fournir une force excédante pour les manœuvres horizontales[2]. Il n’y a pas exagération à dire que la machine à vapeur actuelle ne pourra convenir à la navigation aérienne qu’autant qu’elle aura perdu 99 pour 100 de sa masse.

On nous dit, il est vrai, que les ingénieurs se sont peu préoccupés jusqu’à ce jour de la légèreté des moteurs, qu’une locomotive est lourde parce qu’on veut qu’elle le soit pour adhérer au rail, qu’un moteur d’usine est lourd parce que le fabricant, qui le vend au poids, est intéressé à le rendre massif. Ceci n’est même pas exact pour les machines marines, que dès le premier jour les ingénieurs ont eu avantage à rendre aussi légères que possible. On ajoute qu’on emploiera pour la construction de l’aéronef et de ses engins l’aluminium, le moins dense des métaux, qu’on a des procédés particuliers pour augmenter la surface de chauffe, pour simplifier la chaudière. Tout cela peut se faire, et il ne serait pas étonnant que l’on réduisît le poids d’une quantité notable par les perfectionnemens ingénieux que l’on nous promet; mais une réduction de 99 pour 100, c’est impossible. D’autres, dédaignant la vapeur et le moteur à gaz de M. Lenoir, qui est aussi trop lourd, comptent sur les forces électro-motrices, dont le dernier mot n’est pas dit, sur l’air comprimé, sur l’acide carbonique, peut-être même sur les forces explosives, comme la poudre à canon. Par malheur, ces moteurs sont trop faibles ou

  1. Un écrivain compétent en cette matière, M. Gaudry, nous dit « qu’on admet aujourd’hui que les machines de mer, y compris les chaudières et le propulseur en ordre de marche, ne doivent pas dépasser 500 kilogrammes par force de cheval effectif. »
  2. En laissant à part l’impossibilité de la construction, si l’on voulait discuter l’aéronef au point de vue économique, on arriverait à des conclusions très défavorables. A supposer que l’on pût réduire le poids du moteur jusqu’à 8 kilogrammes par cheval, il faudrait une machine de 60 chevaux pour enlever une nacelle avec ses hélices, ses agrès, son combustible et deux voyageurs, un poids total d’environ 250 kilogrammes. Le poids mort serait énorme en proportion du poids utile. Quoi qu’il arrive, ce mode de locomotion serait donc extrêmement coûteux : 60 chevaux pour une voiture à deux places !