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que le sentiment allait l’abandonner. Il perdait l’usage de ses mains gelées et devenues presque noires. Il est difficile de savoir au juste à quelle hauteur ils étaient arrivés; ils l’estiment à environ 11,000 mètres, peut-être avec quelque exagération. Les pigeons qui venaient d’être lâchés tombèrent comme des pierres dans cet air raréfié, où leurs ailes étaient trop faibles pour les soutenir. Les observateurs eurent le mérite cette fois de monter plus haut que n’était jamais monté aucun homme. Comme des voyageurs égarés dans un désert inconnu, ils s’étaient trouvés dans ces espaces mystérieux, sans humidité, sans air et sans chaleur, où les nuages ne peuvent même plus se soutenir et où la voix de l’homme s’éteint complètement.

De toutes ces expéditions poursuivies depuis deux ans il est résulté un grand nombre d’observations qui, sans résoudre complètement les problèmes relatifs à l’état de notre atmosphère, jettent néanmoins un grand jour sur des questions longtemps controversées. Ainsi il paraît certain que le thermomètre s’abaisse toujours rapidement tant que l’on n’a pas atteint les nuages; puis on traverse des couches d’air plus ou moins chaudes, qui peuvent avoir de 300 à 3,000 mètres d’épaisseur. Ce sont sans doute des courans atmosphériques qui viennent du sud et qui exercent une action dominante sur le climat d’une contrée. Pendant les 5 ou 6 premiers kilomètres, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on atteint la surface supérieure de la zone nuageuse, la succession des températures est donc très variable et n’est nullement conforme à l’ancienne théorie. Au-dessus des nuages, la température recommence à décroître, peut-être à décroître sans limites, jusqu’aux espaces planétaires, qui sont froids à un point que nous ne pouvons concevoir. Les rayons du soleil traversent ces régions glacées sans s’y arrêter et sans y rien laisser. En présence de ces espaces vides que l’œil et la pensée peuvent seuls pénétrer et d’où la vie est à jamais exclue, on se demande involontairement quel était le but du Créateur en laissant tant de place perdue dans la nature. M. Glaisher a traversé aussi, en plein été, des nuages de neige et de glace à une altitude d’environ 5,000 mètres. En outre il a pu remarquer plus d’une fois combien les sons produits à la surface de la terre remuent profondément l’atmosphère. Le sourd murmure de Londres s’entendait distinctement à 2 kilomètres de hauteur. Cependant tous les bruits ne paraissent pas également capables de traverser l’air : ainsi on percevait encore à 3,000 mètres les aboiemens d’un chien, et à 6,400 le sifflement d’une locomotive; mais les cris de plusieurs milliers de personnes ne pouvaient être entendus à 1,500 mètres d’élévation. Ajoutons que le savant anglais n’a pas négligé d’observer sur lui-même et sur les personnes qui l’accompagnaient les effets physiologiques