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lui dit-il; ton maître, le voilà, c’est la nature. — Le conseil fut suivi par Lysippe, qui inaugura chez les Grecs une tendance si marquée vers le réalisme, et. fit dans la sculpture ce qu’Eupompe avait fait dans la peinture.

Lorsque Apelle arriva à Sicyone, Eupompe était mort; Pamphile, son élève et son successeur, dirigeait l’école. Pamphile formula l’enseignement d’une manière plus ferme, l’érigea en doctrine, assura à cette doctrine la sanction des magistrats, et lui fit donner force de loi. Il proclama le premier la dignité de l’art; la pratique en fut interdite aux esclaves : seuls les hommes libres pouvaient devenir des peintres. Le dessin fut déclaré le premier des arts libéraux, les enfans des citoyens apprenaient à dessiner avant d’apprendre leurs lettres; dès que leur éducation commençait, on leur mettait dans les mains une planche de buis et un crayon. Sicyone, petite cité sans puissance politique, se jeta avec enthousiasme dans une réforme qui devait l’illustrer, et son exemple en effet gagna plus d’une ville grecque.

Dans son atelier, Pamphile ne montrait pas moins de hauteur et d’autorité. Il exigeait que ses élèves eussent une instruction étendue, que non-seulement la philosophie, la poésie, l’histoire, leur fussent familières, mais qu’ils eussent étudié les sciences, notamment les mathématiques et la géométrie. Ils s’engageaient à rester dix ans auprès de lui, parce que dix années de travail étaient à peine suffisantes pour s’initier à tous les secrets du métier. Ils lui payaient d’avance un talent, c’est-à-dire près de six mille francs de notre monnaie, ce qui représente une somme dix fois plus considérable aujourd’hui. Pamphile voulait ainsi créer l’aristocratie de l’art; la peinture devenait un privilège, et la richesse était une garantie de l’indépendance des peintres, de leur désintéressement, et par suite de leur dignité. Sous un système aussi absolu, qui rappelle la république de Platon, on sent percer l’utopie : la suite le fit bien voir. Quelle généreuse chimère pourtant (si c’est une chimère) que de vouloir ménager aux artistes une vie libre, affranchie de toute complaisance, entourée d’honneurs par l’état! Il faut songer d’ailleurs que, dans les villes doriennes, les institutions étaient singulièrement puissantes, et que les lois étaient appliquées avec une logique dont la rigueur tenait peu de compte des particuliers. La constitution politique de Sparte en est la preuve.

Apelle se soumit aux conditions de Pamphile, et, d’après le témoignage des anciens, il poussa plus loin encore la docilité, car Pamphile mourut après avoir désigné pour lui succéder dans la direction de l’école le peintre Mélanthe, un de ses élèves. Apelle consentit à obéir à son ancien condisciple, reçut ses leçons, et travailla