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dernières notes diplomatiques sont venues confirmer. Lorsqu’on lira l’article 1er  sans parti-pris, ou avec le parti-pris d’y trouver ce qu’il dit réellement, il faudra toujours reconnaître un principe fondamental, à savoir que les négociateurs de 1815, qui faisaient de la politique pratique et non pas de l’ethnographie, ont appelé tous les habitans de la Pologne des Polonais, et qu’ils les ont divisés en deux catégories. Aux uns ils ont garanti un état jouissant d’une administration distincte, et lié à l’empire de Russie par sa constitution : c’est ce qu’on appelle le royaume. En faveur des autres Polonais, sujets respectifs de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche, le congrès a stipulé seulement une représentation et des institutions nationales. Toute l’économie de l’article 1er  repose sur la distinction, nous dirions presque sur l’opposition qui y est formulée entre l’administration distincte d’une part — et de l’autre la représentation et les institutions nationales. Si nous en avions eu besoin, nous aurions été confirmés dans cette appréciation par la lecture d’un document russe dont la note du prince Gortchakof nous a révélé l’existence. Voici ce que le comte Rasoumovski écrivait le 10 décembre 1814. « Le reste du duché de Varsovie est dévolu à la couronne de Russie comme état uni auquel sa majesté se réserve de donner une constitution nationale… L’empereur de Russie, désirant faire participer tous les Polonais aux bienfaits d’une administration nationale, intercède auprès de ses alliés en faveur de leurs sujets de cette nation, dans le but de leur obtenir des institutions provinciales, qui conservent de justes égards pour leur nationalité et leur accordent une part à l’administration de leur pays. »

Il est impossible d’opposer plus clairement la constitution nationale aux institutions provinciales et d’établir plus nettement que, parmi les Polonais, les uns s’administreront complètement eux-mêmes, tandis que les autres auront seulement une part à l’administration de leur pays. L’on n’osera pas dire que l’empereur Alexandre Ier voulait, tout en stipulant cette garantie en faveur des sujets acquis par la Prusse et par l’Autriche dans les premiers partages, se réserver de ne rien accorder lui-même aux sujets polonais acquis par la Russie aux mêmes titres et aux mêmes époques. Le caractère et les intentions d’Alexandre Ier sont trop connus pour qu’on admette cette supposition ; mais l’on prétendra peut-être, d’après la nouvelle théorie, qu’en disant tous les Polonais, l’empereur de Russie ne comprenait pas les habitans des anciennes provinces. Voyons où conduit cette supposition. La partie orientale de la Galicie est peuplée de Ruthéniens, comme la Volhynie, la Podolie et l’Ukraine, qui ont fait partie du lot de la Russie. Il faudrait donc admettre que le comte Rasoumovski et après lui les plénipotentiaires de 1815 ont entendu n’accorder des institutions séparées et une part dans l’administration locale qu’à la moitié de la Galicie, tandis que le cabinet de Vienne resterait libre de gouverner l’autre moitié, sans aucune garantie, comme la haute ou la basse Autriche. Voilà où l’on en arrive en détournant les mots de leur véritable sens. Non, la dépêche du comte Rasoumovski n’est pas aussi ingénieuse que les dissertations de M. le professeur Pogodin. Elle restera comme un des commentaires de l’article 1er  les plus clairs et les plus autorisés, à la suite des lettres d’Alexandre Ier à