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suffisamment les défaillances périodiques du marché financier et la baisse des effets publics. S’il est un peuple que son tempérament et la juste idée qu’il a de sa force devraient rendre peu accessible à la crainte des difficultés étrangères, il nous semble que c’est le peuple français. La France a eu cette année une bonne récolte ; ses revenus publics sont toujours en voie d’accroissement ; l’épargne continue à être considérable, le capital est abondant. D’où viennent donc aujourd’hui les sourdes rumeurs, les vagues défiances qui circulent dans le monde des affaires ? Pourquoi cette crédulité craintive ? pourquoi par exemple s’obstine-t-on à voir toujours en perspective un emprunt ?

Le point que nous allons toucher est, nous le croyons, le vrai point sensible de la situation financière de la France. La France a une dette flottante qui, sans être trop lourde pour elle, est cependant exagérée. Même ce fameux milliard qui avait tant ému les imaginations il y a deux ans paraît au fond une charge bien légère quand on songe aux ressources de la France. Pour rester dans les limites les plus raisonnables et les plus strictes, pour se débarrasser de cet épouvantail, le gouvernement n’aurait eu qu’à échanger la moitié du milliard de ses engagemens à courte échéance contre une somme égale constituée en rentes perpétuelles. L’opération eût été bien simple et se fût très vivement accomplie. Certes, depuis deux ans, nous avons prêté à l’Italie, à la Russie, à la Turquie, des sommes bien supérieures à celles que nous n’aurions eu qu’à nous prêter à nous-mêmes. Le péril d’une dette flottante trop considérable n’est donc pas pour la France dans l’importance de la somme due, mais dans la forme de la dette. La somme pour nous est légère, la forme est périlleuse. La dette flottante est en effet une dette à courte échéance. Qu’un de ces événemens qui affectent le crédit général, qui créent une panique, qui suspendent la confiance, vienne nous surprendre avec une grosse dette flottante, et alors cette dette devient pour nous, à cause de sa forme, parce qu’elle constitue des engagemens prochainement exigibles, un grave embarras. Dans une telle éventualité, l’état serait exposé, au moment où arriveraient les échéances, à ne plus trouver de crédit. La position du trésor se complique, dans une prévision semblable, des embarras analogues qui éclateraient autour de lui. La ville de Paris a, elle aussi, une dette flottante qui n’est pas médiocre, puisqu’elle atteint 125 millions. L’utile institution des banques de dépôts tend à s’acclimater parmi nous : les dépôts forment aussi une dette flottante dont en une heure de crise on s’empresserait d’exiger le remboursement. Enfin il n’y a pas jusqu’à la société immobilière de M. Emile Pereire qui, sous la forme d’une caisse des travaux publics, ne veuille avoir, elle aussi, sa dette flottante. Il y a là toute une solidarité de situations et d’intérêts dont on peut dire que le trésor, qui est le plus grand banquier de France, est la clé de voûte. Avec un trésor bien armé contre le péril, c’est-à-dire n’ayant pas d’engagemens exigibles qui pussent l’embarrasser, la crise serait affrontée avec fermeté, et la confiance reviendrait vite. Il n’en