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bientôt obligé de nous dire ce que cette action diplomatique a produit et ce que l’on compte faire. Ce qu’elle a produit, nous ne le savons que trop : d’arrogantes fins de non-recevoir de la Russie, et pour la Pologne un redoublement de rigueurs et de souffrances. Ce que l’on compte faire ? Pense-t-on avoir assez fait en liant la politique de la France à celle de l’Angleterre et de l’Autriche, pour finir par répondre à cette interrogation par le mot rien, murmuré en trio ? Mais alors ce sont les raisons de cette stérilité collective qu’il faudra rechercher ; il faudra éclairer la question générale des alliances et se rendre compte d’aussi près que possible de la situation du cabinet des Tuileries vis-à-vis de l’Europe.

Cette rencontre des questions les plus importantes du dedans et du dehors arrivant à la fois sur la scène des délibérations publiques nous paraît fournir matière à une considération générale d’un ordre élevé. Dans ce moment de halte et d’attente, à la veille des grandes discussions, nous nous demandons dans quelle voie la France va s’avancer ; son gouvernement se déclarant impuissant dans la question polonaise, le pays appliquera-t-il son activité à l’intérieur, au développement des institutions et aux progrès de la liberté ? ou bien, acceptant au dehors la besogné que les circonstances paraissent nous offrir, attendrons-nous l’extension de nos libertés comme la récompense des combats que nous aurons soutenus en Europe pour la défense de l’humanité et de la justice ? Qu’est-ce qui va prendre la première place dans les préoccupations politiques de la France ? Est-ce le dedans ou le dehors ? Ce sont les choses mêmes qui nous posent cette alternative : il n’est pas possible de l’éluder. Ici ou là, il faut que la France marche vers un but, aille quelque part. Nous connaissons bien l’énergie avec laquelle les intérêts économiques et l’activité industrielle ont pénétré dans la constitution des sociétés modernes, nous savons la part légitime et considérable qui doit être faite par la politique à ces puissans et féconds intérêts ; mais nous en prévenons nos amis de l’industrie et du monde financier : ils commettent une énorme méprise, s’ils se figurent que nos grands peuples modernes, que la France surtout, se puissent nourrir exclusivement de ce pain-là. Construire des chemins de fer, être attentif aux variations des fonds publics, assister au jeu d’enfer des crédits mobiliers sur les différences de bourse, acheter des terrains, percer des rues, faire dans nos villes des squares et des parcs à l’anglaise, c’est plus ou moins utile, plus ou moins beau, plus ou moins amusant ; mais ce n’est pas toute la vie d’une grande nation et d’une noble race. Enfans de 1789, nous sommes nés pour faire chez nous et au dehors autre chose encore. Au dedans, nous avons à regagner le terrain perdu par la liberté ; au dehors, nous ne pouvons nous désintéresser des combats que se livrent dans le monde la justice et l’oppression, le droit et la tyrannie. Et nous n’avons point la faculté d’ajourner, pour la commodité de nos intérêts matériels, l’accomplissement de nos devoirs intérieurs et extérieurs. Les nations ne peuvent pas choisir l’heure de vaquer à leurs devoirs ; cette heure leur est