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pas à moins de 3 ou 400 roupies ces mêmes animaux, dont l’élite n’en a coûté que 50 au magnanime héritier de Dost-Mohammed.

« ... Le coton-poudre, dont personne ici ne connaissait les effets, intéresse vivement le sardar et son entourage. Un des principaux dignitaires m’a pris à part après que j’eus fait devant lui l’expérience de ce nouvel engin de guerre, et m’en demanda naïvement « de quoi rembourrer un coussin... Je le donnerai, disait-il, à quelqu’un de ma connaissance, et en faisant tomber par accident un charbon de son chilam... » Un vieux mullah s’est réveillé au bruit de la discussion soulevée par les propriétés du coton-poudre. Après se les être fait expliquer, il a déclaré que c’était là une invention du mauvais esprit, puis, égrenant son chapelet, il s’est rendormi de plus belle.

« Une autre expérience sur l’inflammabilité du gaz hydrogène m’a fait soupçonner de rapports intimes avec sa majesté infernale, et, ceci pouvant devenir grave, j’ai laissé de côté l’achèvement d’une batterie voltaïque déjà plus qu’à moitié préparée. Le grand inconvénient de ces prouesses chimiques est de me donner une réputation d’empoisonneur subtil et de m’attirer un nombre infini de requêtes embarrassantes, les uns me demandant de les aider à se défaire secrètement de leurs ennemis, les autres un moyen sûr de reconnaître le poison mêlé à leurs alimens. Il résulte évidemment de tout ceci que l’art de maléficier la nourriture de son semblable jouit à Kandahar d’une grande vogue.

«... Voici comment le sardar entend les finances : on vient de tambouriner par la ville que toute la monnaie de cuivre en circulation devait être, dans les vingt-quatre heures, rapportée au trésor public, et cela sous les peines les plus graves; mais auparavant il avait eu soin, par un décret tout à fait arbitraire, de déclarer que cette même monnaie ne devait plus être reçue que pour moitié de son ancienne valeur. La roupie de Kandahar, par exemple, de 32 gandas ou 8 annas, ne valait plus que 16 gandas ou 4 annas. Une fois au trésor, la monnaie en question sera frappée à nouveau et d’ici à quelques jours remise en circulation à son ancien taux, la nouvelle roupie valant 8 annas, tout comme l’ancienne, d’où un profit net de 100 pour 100 réalisé par le sardar sur toute la monnaie de cuivre circulant en ville, laquelle est évaluée à 30 ou 60,000 roupies. — Notez bien que cette petite plaisanterie s’est répétée cinq fois pendant le séjour de la mission à Kandahar, et dans deux occasions elle comprenait la monnaie d’argent en même temps que celle de cuivre.

«... Une jirga (un conclave de prêtres) a condamné à « mourir par le sangsar,» c’est-à-dire à être lapidé, un individu accusé de propos séditieux. D’après ce qui nous est dit, cet homme s’était borné à pronostiquer la prompte victoire des Anglais dans l’Inde, vantant d’ailleurs les bienfaits de notre administration, et les opposant aux injustices, aux actes tyranniques dont l’Afghanistan est chaque jour le théâtre, mais qu’on ne tolérerait pas un seul jour dans les possessions de la compagnie. Cette rude critique, et les vœux qu’il exprimait hautement pour que l’insurrection des cipayes fût étouffée, ont été regardés comme crimes d’état, et le malheureux les a payés de sa vie. On dit qu’il est mort avec courage au milieu des imprécations universelles, maudit par tous ceux qui assistaient et participaient à son supplice.