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exaltée que jamais par le sentiment toujours légitime de l’indépendance nationale. Il avoue que presque partout le vide se faisait autour de la mission malgré l’empressement des malades à solliciter les secours du feringhi hakim, du médecin d’Europe. C’est dans ce rôle professionnel que M. Bellew a pu scruter de plus près le caractère afghan et qu’il lui a été donné de percer à jour les mille voiles de la duplicité orientale. Sur la route de Kandahar, mais surtout après son arrivée dans cette cour de l’héritier présomptif, auprès duquel la mission demeura pendant tout son séjour, il était assiégé des requêtes les plus embarrassantes. Sous prétexte de le consulter sur des maladies plus ou moins avérées, on ne lui demandait rien moins que des « philtres » de plus d’une espèce, tantôt destinés à combattre l’épuisement précoce que la débauche amène, tantôt, — et tout aussi fréquemment, — à servir les inspirations de la haine et du meurtre.

Le plus important de ses cliens devait être et fut en effet l’héritier présomptif lui-même (wali-ahad) le sardar Gholam-Haïdar-Khan, que de fréquentes indispositions obligeaient de recourir au médecin anglais nonobstant les sinistres présages des hakims indigènes. Ce prince, d’une corpulence énorme et d’une physionomie agréable, bien que fortement marquée au type juif, avait d’abord fait à la mission anglaise l’accueil le plus chaleureux et le plus empressé. Il se rappelait, disait-il, les égards et les soins qui lui avaient été prodigués à Calcutta pendant qu’il y séjournait comme prisonnier de guerre[1], et professait la plus haute estime pour le caractère du peuple anglais. — Restait à savoir ce que ses protestations avaient de sincère, et sous ce rapport les événemens allaient le mettre à l’épreuve. D’une part en effet, la guerre de Perse terminée et l’évacuation d’Hérat diminuaient l’importance militaire de la mission, tandis que d’un autre côté les nouvelles de l’Inde arrivaient de jour en jour plus désastreuses, et ouvraient au peuple afghan les perspectives d’une revanche longtemps convoitée. Bien que placée sous la protection immédiate de l’héritier présomptif et partageant avec lui l’enceinte de la citadelle, la mission anglaise n’en était pas moins dans une situation des plus critiques, et certaines pages du journal de M. Bellew laissent entrevoir que la bonne volonté, le zèle de Gholam-Haïdar-Khan ne leur semblaient pas à l’épreuve de revers trop prolongés.

C’était en somme un vrai prince du moyen âge, sans le moindre scrupule, soupçonneux et rusé, avare surtout et sans entrailles pour le peuple confié à son autorité. Kandahar était à cette époque sous le coup simultané de la famine et de la peste. Dans le premier

  1. Il avait été pris à Ghuznee lorsque cette place importante fut enlevée d’assaut par les troupes que commandait lord Keane.