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sur les destinées du monde, — méprisables ennemis pour qui les attend, terribles pour qui vient à eux.


II

La première aventure de la mission anglaise sur le chemin de Kandahar fut en quelques mots celle-ci : la petite troupe (trois officiers anglais, deux gentlemen afghans à la solde du gouvernement britannique, escortés par une trentaine de fantassins et une vingtaine de cavaliers pris dans le corps des guides) avait franchi la frontière anglaise depuis quelques jours, et traversait sous escorte afghane un pays où les habitans marchent armés, où chaque maison a son burg (tour de guet et de défense), où chaque village, soigneusement clos d’une ceinture de ronces, offre l’aspect extérieur d’une forteresse bien armée, pays malsain d’ailleurs, où les maladies sévissent tandis que le brigandage fleurit. Arrivés à un fort nommé Kurram, ils apprirent qu’une tribu insoumise, les Jaji-Pathans, avaient barricadé le kohtal ou passe de Païwar, et prétendaient l’interdire, même par la force, aux hôtes de l’émir. Le naïb Gholam-Jan, chargé de protéger ces derniers, se déclarait hors d’état d’enlever la position, bien qu’il disposât d’un régiment d’infanterie régulière et de deux pièces d’artillerie de montagne. Après quatre jours entiers de négociations avec les Jajis, qui se montraient inflexibles, il fallut se résoudre à user de ruse, et, tout en continuant de parlementer, le naïb fit occuper par ses réguliers et ses canons une autre passe un peu plus au nord, et que les Jajis n’avaient pas songé à fortifier. Une fois maître de cette position, il put faire franchir aux voyageurs la barrière de montagnes alpestres qui se dressait devant eux, toute couverte de forêts et de neiges. Ce ne fut pas néanmoins sans encombre ni sans émotion que s’accomplit cette rude traversée. Les Jajis, dont la principale manœuvre avait été déjouée par le stratagème du naïb, reparurent bientôt, exaspérés et tumultueux, devant la petite colonne. On les voyait rarement, mais on entendait au fond des gorges étroites les roulemens de leurs tambours (nagara), les sons aigus de leurs cornemuses (surnai), répercutés par le formidable écho des montagnes. Ils se montraient aussi de temps à autre, sautant de roche en roche avec l’agilité d’un chamois, et, brandissant leurs charahs, entonnaient en chœur un chant de guerre, mêlé çà et là d’un cri tout particulier qui commençait par les notes les plus basses pour passer brusquement aux plus aiguës. Il était indispensable de moment en moment que les cavaliers de l’escorte fendissent du poitrail de leurs chevaux ces groupes de plus en plus hostiles, et le naïb, à plusieurs reprises, dut entrer en négociations avec ces farouches