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« ... Cet état de choses engendre mille désordres secondaires ; mais il met un peuple à l’abri de ces révolutions générales, de ces irrémédiables calamités auxquelles en Asie les pays de despotisme sont si fréquemment exposés. En Perse ou dans l’Inde, les passions d’un souverain vicieux se font sentir à chaque portion de ses états. A la mort de chaque monarque éclatent des guerres civiles qui plongent le pays tout entier dans le désordre et la misère... Dans l’Afghanistan au contraire, le gouvernement intérieur des tribus répond si bien à la fin pour laquelle il a été institué, que les plus grandes perturbations du gouvernement royal ne sauraient déranger son mécanisme, ou bouleverser l’existence populaire. Un certain nombre de petites républiques solidement organisées et animées d’une ardeur soigneusement entretenue se trouvent là toujours prêtes à défendre contre un tyran leur territoire naturellement fortifié, ou à défier, pendant une guerre civile, l’impuissance des partis. Aussi, comparant deux pays voisins, nous trouvons la Perse, après vingt ans de profonde tranquillité, dans une voie de décadence marquée, tandis que l’Afghanistan n’a pas cessé de prospérer pendant une guerre civile qui dure depuis douze années. Les villes et leurs entours immédiats, les grandes routes, ont souffert sans nul doute, exposés sans défense aux entreprises des compétiteurs qui se disputent la couronne et au pillage de leurs armées; mais partout ailleurs on construit de nouveaux aqueducs, on met en valeur des friches nouvelles.

« ... Il m’arriva un jour, dit encore M. Elphinstone, de faire valoir devant un intelligent vieillard de la tribu Meean-Khall la supériorité d’une existence paisible sous la protection d’un puissant monarque, en l’opposant aux discordes, aux alarmes, à l’effusion de sang, qui sont inséparables du système aujourd’hui en vigueur chez les Afghans. Cet « ancien » me réfuta chaleureusement et conclut ainsi sa harangue indignée contre le pouvoir arbitraire : — La discorde, nous l’acceptons, les alarmes de même; le sang versé, nous pouvons y souscrire... Ce dont nous ne voudrons jamais, c’est un maître. »


Malo periculosam libertatem... Ce vieillard s’élevait par instinct à la plus haute conception du génie des républiques. Sa profession de foi et les convictions que M. Elphinstone s’était formées sur le compte du peuple afghan expliquent la résistance victorieuse que les Anglais ont trouvée chez ce peuple aux instincts belliqueux, aux tendances viriles, quand ils ont voulu lui imposer pour chef une de leurs créatures. Trompés par le souvenir de leurs faciles triomphes, ils rencontrèrent, à la place de ces hommes énervés par le despotisme, et qui sans résistance passent d’un joug sous un autre, une nation qui tressaille encore au nom d’honneur et de liberté. Ce jour-là il leur fallut reculer, et reculer avec douleur.

Nous ne prétendons rien exagérer. La liberté des Afghans est un peu celle des klephtes grecs et des banditti corses. Leur loi la plus claire est celle du talion, ou des compensations tant bien que mal réglées par une sorte de jury composé de « barbes blanches » (spinghirai). Certaines tribus, surtout celles qui habitent les montagnes